— Je m’appelle Boubacar. Mais si tu m’aimes bien, tu m’appelleras Boub.
— Salut, Boub.
— Est-ce que tu t’es rendu compte que je suis noir ?
— Pas partout, objectai-je en lui montrant l’intérieur de sa main.
Il haussa les sourcils, étonné.
— T’es un drôle d’Arabe, toi. Tout à l’heure, tu t’es excusé. Maintenant, tu plaisantes. Tu es un mec étrange.
— Désolé d’être poli.
— As-tu un endroit où loger ?
— Non.
— Je te propose mon squat.
Le soir même, Boubacar me conduisit dans un immeuble promis à la démolition, en marge d’un terrain vague, non loin d’une décharge à ordures, une ruine d’au moins un siècle où, occupant le troisième étage, lui et d’autres Libériens avaient installé leurs sacs, des matelas de récupération, un vieux réchaud à gaz. C’était sale, malodorant, exigu et chaleureux.
Dans les jours suivants, Boubacar entama un jeu qui l’amusait beaucoup : devenir mon guide, arpenter Le Caire comme s’il en était le cicérone officiel. Il m’initia à la vie d’un étranger en attente de papiers.
— Combien d’argent as-tu ?
— Plus rien, Boub, rien de rien.
— Alors tu pourrais faire le gigolo.
— Pardon ?
— Oui, tu es beau ! Enfin, pour un Blanc… En réalité, je devrais dire pour un verdâtre car je vous trouve, vous les Blancs, plus verdâtres que blancs, non ? Surtout l’Arabe en hiver… Bon, donc, tu es beau, tu as beaucoup de dents, en te lavant tu devrais plaire. Moi, à ta place, je gagnerais mon argent comme ça.
— Attends ! Je ne vais pas me prostituer…
— Qui te parle de ça ? Je te propose de faire le gigolo dans un dancing, un club de femmes. Tu n’es pas obligé de coucher ni de simuler, tu n’as qu’à leur tenir compagnie au bar, danser et discuter avec elles. Un furtif baiser à l’occasion, en insinuant que tu souhaiterais plus. Un homme de compagnie pour femmes seules, en quelque sorte. Un truc propre.
— Comment veux-tu que j’y arrive ? Je suis mal habillé, je suis ennuyeux, je ne connais personne.
Il pirouetta et esquissa, félin ravi, quelques souples figures.
— Pas de problème, Saad : si tu fais le gigolo, moi je deviens ton maquereau. Contre cinquante pour cent de ce que tu empocheras, je te fournis les bons vêtements et les bonnes adresses.
— Tu plaisantes ?
— Non.
— Si ! Dix pour cent, pas cinquante.
— Trente pour cent.
— Vingt pour cent. C’est mon dernier mot.
— Vingt pour cent ? Tu connais un proxénète qui prend vingt pour cent ? Je serai le maquereau le moins cher du monde !
— Sans doute, mais moi, de mon côté, je serai aussi le gigolo le moins cher du monde.
Un éclat de rire scella notre accord.
Cet après-midi-là, Boubacar disparut quelques heures et revint serrant contre lui un mouchoir qui contenait, entre ses plis, un morceau d’or.
— Boub, tu possèdes de l’or ?
— Je l’ai volé.
— Boub !