— Qu’ils disent… La seule certitude, c’est qu’ils te soulagent de mille dollars.

— De toute façon, je ne dispose pas de mille dollars.

— Vends quelque chose.

— Quoi ? Les bijoux de Maman se sont envolés depuis longtemps. Tes livres, ils ne trouveront pas d’acquéreur. Quant aux meubles, ceux qui subsistent, on en a besoin et on n’en tirerait rien. L’appartement ?

— Non, fils. Qui désirerait un appartement à Bagdad à l’heure actuelle ? Autant s’acheter direct une concession au cimetière.

— Alors ?

— Alors je pensais que tu pouvais te vendre, toi. Ta force. Ta jeunesse. Ton ardeur.

— Je ne suis pas certain de comprendre…

— Tu n’as que toi de monnayable, mon garçon. Il y a des domaines où on a besoin de jeunes gens intrépides.

— Tu insinues que…

Nous fumes interrompus par Maman, laquelle entra, furtive, récupérer un peigne dans la salle de bains ; très pudique, Papa, qui n’avait jamais accepté de partager sa nudité avec un autre que moi, disparut.

Néanmoins, j’avais saisi son message. Qu’avais-je à vendre ? Ma vie… En ce moment, les fanatiques s’en montraient avides consommateurs. Mon père me proposait de devenir terroriste. Rallier al-Qaida, le mouvement islamiste qu’on savait puissant et organisé, dont une branche vivace s’était développée sur le sol irakien ? Avec son aide, à son service, on passait des frontières interdites.

Soudain, la situation me parut claire : il fallait que je me présente aux groupes armés clandestins ; ou plutôt que je feigne de m’enrôler contre un voyage au Caire.

Dans ma confusion, je ne songeai pas qu’on rejoint le terrorisme par fièvre, non par calcul, que je mettais de la froideur et de la stratégie – certains nomment « cynisme » cette recette – à m’approcher d’une activité qu’on épouse par horreur ou adoration, vengeance ou ambition, toujours avec passion.

Je me rendis à la mosquée qui se tassait derrière l’ancien lycée de mes sœurs, petit édifice sans faste ni style, dont, à mots couverts, à grand renfort d’allusions, de silences et de points de suspension, les camarades d’Université m’avaient suggéré que… si l’on voulait… eh bien c’était là !

Mêlant mes prières au guet, j’étudiai pendant des heures la population qui fréquentait l’endroit, ceux qui y venaient pour s’adresser au ciel, ceux qui s’y rendaient pour comploter.

Quand je fus sûr de mon analyse, à la mi-journée, j’abordai un homme haut, robuste, au nez aigu, à la barbe dure, le pivot autour duquel s’agitaient les jeunes gens au sang bouillant.

— Je veux me rendre utile.

— Je ne te connais pas.

— Je m’appelle Saad Saad.

— Je te répète que je ne te connais pas. De quoi parles-tu ? Pourquoi à moi ?

— Ou je suis fou, ou je sens que tu m’épauleras. Mon père est mort sous les balles américaines, mes beaux-frères aussi ; je subviens seul aux besoins de ma famille, quatre sœurs, une mère, trois neveux et deux nièces.

— Et alors ?

— Je hais les Américains.

Son sourcil eut un sursaut imperceptible. Le poil noir et l’œil bleu, dans un contraste qui indiquait la violence d’un tempérament sanguin, tout ombre ou tout soleil, il aboya :

— Et alors ?

— Je veux devenir nécessaire.

Ulysse from Bagdad
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