— Non, je ne rêve pas d’être apatride, je rêve que le monde le devienne. Je rêve que le « nous » que je prononcerai un jour soit la communauté des hommes intelligents qui cherchent la paix.

— Un gouvernement mondial ?

— Chut, voilà Max !

De retour, Max engagea son véhicule dans une forêt.

Là, je luttai contre une peur instinctive. Rendus inquiétants par une obscurité d’encre, les arbres se dressaient si haut que je me sentais aussi petit qu’un enfant dans un conte. Les phares éclairaient, furtifs, des fossés, des buissons d’où jaillissaient des bêtes aux yeux effarés.

Au-dehors, j’entendis des ululements, une plainte déchirante.

Il stoppa et les pneus crissèrent sur des graviers.

Il klaxonna.

Quelques secondes plus tard, une maison apparut devant nous. Le propriétaire, qui venait d’allumer les lanternes extérieures, découpa son ombre devant la porte.

— Salut, Schoelcher, c’est Max ! cria mon compagnon.

L’hôte écarta les bras, les deux amis s’étreignirent.

Max me présenta au docteur Schoelcher.

— Voici Saad Saad qui vient d’Irak et que je te confie.

— Bonjour, Saad Saad. Vous me permettez de vous appeler Saad, naturellement ?

Les deux hommes éclatèrent de rire. Pas moi. J’avais froid.

Max me regarda avec compassion.

— Saad s’est tant servi de ses yeux pendant le voyage qu’il doit les fermer. Il tombe de sommeil.

Il avait raison, j’étais épuisé. Max me conduisit à ma chambre pendant que le docteur Schoelcher disposait sur un plateau de quoi me restaurer.

— N’hésitez pas à prendre votre repas dans le lit, me dit-il en me l’apportant. Bon repos.

Ils me laissèrent seul à l’étage et commencèrent à trinquer à la cuisine ; quoique leurs voix montassent jusqu’à moi, ils parlaient si rapidement que je ne comprenais rien ; au reste, à peine avais-je raclé la dernière miette de mon assiette, porté mon doigt à ma bouche, je m’endormis.

Ce ne fut que le lendemain que je fis connaissance du docteur Schoelcher. Max, sans me réveiller, avait repris la route à l’aube.

Je demandai au médecin de me pardonner mon abrutissement de la veille. Haussant les épaules, il s’enquit :

— Thé plutôt que café ?

— Oui, merci.

Je me réjouis que mon hôte n’obligeât pas l’Oriental que j’étais à absorber ce liquide âcre dont les Européens raffolent ; contraint d’en boire pendant mon périple italien, je ne parvenais toujours pas à l’apprécier, seule la politesse me retenait chaque fois de le cracher.

— Vous sucrez beaucoup, je crois ?

— Je suis étonné de voir combien les Européens sucrent peu leurs boissons.

— Heureusement ! Ils consomment déjà assez de sucre dans l’alcool et dans le vin. Au fait, comment allez-vous ? C’est le médecin qui pose la question.

— Je ne me pose jamais cette question.

Il sourit, pensif.

— Sortons, voulez-vous.

Schoelcher me prêta un manteau, une écharpe, des bottes et nous franchîmes la porte.

Les environs ne ressemblaient pas du tout à ce que j’avais vu – ou plutôt pas vu – la veille. Autour de la maison, derrière le bas muret qui l’isolait, s’étendaient à l’infini des champs de tombes.

Ulysse from Bagdad
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