— Allons, tu crois ? Attends que j’aille à la fenêtre.
Elle ramassa ses affaires. En quelques secondes, je compris qu’elle avait raison : des véhicules se profilaient à l’horizon.
— Partons.
Sans attendre, j’attrapai mon sac, nous avons emprunté le couloir et dévalé l’escalier en silence.
— On donne l’alerte ? demandai-je.
— Oui. Va devant. Je m’en occupe.
Je m’élançai dehors, protégé des cars de police par l’immeuble, et commençai à courir à travers les champs.
Leila avait dû hurler pour prévenir chacun car il y eut un tohu-bohu dans le bâtiment. Dans les autres, plus voisins de la route, la police bondissait déjà. Sans me retourner, je poursuivis ma course à perdre haleine pour chercher la protection des bois.
— Pourvu qu’elle me rejoigne vite, me disais-je, haletant.
Cependant, quoique espérant, une partie de moi avait déjà compris ce qui se passait. En donnant l’alarme, par le bruit qu’elle avait déclenché, Leila avait précipité l’intervention des forces et compromis sa fuite. Néanmoins, je voulus me convaincre que j’avais tort, je me terrai dans un fossé, le cœur battant, et j’attendis.
Des cris. Des hurlements. Les Africaines résistaient, vaillantes. Aussitôt, des bruits d’explosion. Les policiers devaient lancer des bombes au gaz. Ou incendier des chambres.
Claquements de portes. Sirènes. Démarrages. Moteurs dont le ronronnement grossit puis s’évanouit au loin.
Leila n’était toujours pas revenue.
J’avais compris.
Dans mon trou d’herbe et de boue, je me morfondis néanmoins jusqu’à midi. Puis je revins au squat, lequel, comme je l’avais imaginé, fumait encore d’avoir été calciné.
Personne ne se trouvait alentour.
Le soir, je me rendis auprès de Pauline, pas au préfabriqué qui était fermé, mais à son adresse privée. Dès qu’elle m’aperçut par sa fenêtre, elle m’intima d’emprunter la porte arrière, celle du jardin, avec discrétion. Elle semblait épuisée, préoccupée.
— Saad, tu t’en es tiré !
— J’ai peur d’être le seul.
— Je sais que Leila a été arrêtée.
Dans la soirée, elle multiplia les coups de fil. Puis, les cheveux en bataille, l’œil las, elle vint m’apprendre la vérité.
— Leila, parce qu’elle avait tenté de régulariser sa situation administrative, sera encore moins bien traitée que les autres qui vont être envoyés en centre de rétention.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’on va lui faire ?
— Ils agissent beaucoup plus vite avec les femmes car ils ont peur qu’elles ne fondent une famille.
— Que va-t-on lui faire ?
— Sois courageux, Saad.
— Quoi ?
— On va la renvoyer en Irak d’ici trois jours.
Je m’effondrai sur le carrelage de la cuisine. Était-ce la faim, la soif, l’émotion ? Peu importe, je n’avais plus la force d’en entendre davantage.
Pauline m’abrita chez elle, caché dans le grenier, jusqu’au jour convenu avec Jorge. Têtue, impérieuse, sans me laisser la moindre marge de manœuvre, elle exigea que je suive seul le plan précédent conçu pour deux.
— De toute façon, précisa Pauline, l’offre se limite désormais à une seule personne. Ça devient trop dangereux. Les gouvernements et les administrations veulent donner l’impression de force et multiplient les contrôles.
Le soir du départ, comme pour me laver des chagrins et des déceptions, j’éprouvai le besoin d’accomplir une longue toilette et lui demandai la permission de rester un peu dans sa salle de bains. Je savais que j’allais consumer plusieurs heures sans boire, sans manger, sans me soulager. Après ma prière et ma douche, Papa en profita pour me rendre visite sur les carreaux en mosaïque.