96.
Je contemple par une fenêtre le visage caché sous un bonnet de laine : ma femme. La chère silhouette marche sur la neige, les mains dans les poches. Voilà ma passion joyeuse. En dépit de mes obsessions pour les garçons normaux, c’est cet amour nourricier qui me porte… Mes quintes m’auraient-elles exilé de tout ce que recèlent de bon ma vie et mon amour ? Par pudeur, je n’évoque guère en ces lignes les mille tendresses quotidiennes. Or, j’en prends conscience, les soubresauts de certaines de mes fascinations ont failli me détourner de l’essentiel. Je ressemble à cet aventurier qui brave la tempête et traverse les océans pour faire fortune. Au terme d’une existence usée par de vaines et harassantes tribulations, brisé par son impossible quête, sans le sou, résigné, il retourne au bercail. Un jour, tandis qu’il s’affaire en son potager à planter les légumes nécessaires à sa subsistance, il déterre un trésor. Même si l’histoire est un peu niaise, elle a le mérite de me tenir en alerte. J’y ai songé lorsque, ce matin, par hasard, j’ai contemplé mon corps dans le miroir. Pour imparfait qu’il soit, pour maladroit qu’il se révèle, il est là, fidèle et pas si piteux que cela.