18.
Frais comme un gardon, je sors de chez l’ostéopathe. Un passant m’accoste : « Vos livres m’ont aidé dans une sacrée passe. Merci de tout cœur ! » Plein de gratitude à mon tour, je continue ma promenade en songeant à la chance que j’ai d’écrire. Alors que je passe à proximité d’un groupe de jeunes filles, j’entends des éclats de rire, puis l’une d’entre elles s’exclamer : « Tu n’as pas honte de te moquer d’un handicapé ! » En dix minutes, j’ai tout eu ou presque ! Mon ami B me dit souvent que le sage est au-delà de la louange et du blâme. Sensible à l’un autant qu’à l’autre, mon humeur fait décidément les montagnes russes… et n’est pas encore celle d’un sage !
Quoi que l’on fasse, il y a toujours un pépin dans la journée, une difficulté imprévue, une aventure qui ne tourne pas rond ou qui tourne carrément mal. Une femme m’a dit un jour que les tracas quotidiens, c’était finalement le loyer de l’existence. Quelque chose me déplaît dans cette idée, car la vie tient du don, elle ne se monnaie pas. Pourtant, elle m’aide à oublier ces railleries matinales. Poursuivant ma route, je hâte le pas vers une papeterie pour faire photocopier un ouvrage épuisé. Je trouve la porte du magasin close. Le livre sur l’ascétisme des Pères du désert attendra. Devant la grille, pourtant, je m’agite, m’agace… C’est de tout cela que je veux me libérer. Plus de tourments, plus de sautes d’humeur, plus de hauts et de bas, en somme. Est-ce prétentieux, impossible ?
Spinoza explique quelque part que l’acte même de comprendre ses passions contient déjà en lui-même un effet libérateur. Ainsi, lorsque je saisis les déterminismes qui pèsent sur moi et que je cerne les causes de mes faux pas, je sens comme un souffle léger de liberté, certes minime, mais réel. J’acquiers une connaissance intime qui n’est pas sans joie. Par exemple : c’est parce que je cherche chez les Pères du désert une médication de cheval apte à me guérir de mes fascinations que je suis si impatient, que je piétine devant le magasin fermé. En fait, je considère ce livre comme si ma vie en dépendait.
Et devant la risée dont je suis l’objet, je ne sais pas oser la transparence, me laisser traverser sans résister par les éclats de rire. En gros, j’ai sacrifié, je sacrifie, je sacrifierai la joie du moment pour une illusoire libération. Je peux commencer dès à présent à oser la reddition, avec mes doutes, mes faiblesses, ma fragilité.
Finalement, je trouve quelque chose de rassurant à songer que quoi que l’on fasse, il y aura toujours des pépins dans la journée. Voilà qui m’aide à abandonner une lutte aussi épuisante qu’acharnée, à risquer l’abandon, à baisser les armes !