10.
Avant de m’attaquer à la fascination, passion omniprésente de mon existence, il est peut-être bon de contourner, pour un temps, le problème. Ne serait-ce que pour qu’il ne devienne pas le centre de ma vie. En guise d’exercice spirituel, je me souviens de Kant qui parle de trois manies : la manie de l’honneur, celle de la possession et la manie de la domination1. Il suffirait, pour l’heure, de me demander où j’en suis par rapport aux honneurs. Où la soif de reconnaissance me pousse-t-elle ? Dans ma jalousie pour les garçons de mon âge, je repère une envie de plaire, une vocation mort-née de séducteur. Je cherche aussi la joie dans le paraître et l’avoir. Quoi de plus naturel, quoi de plus vain ? Quant à la possession : pourquoi tous ces livres autour de moi ? Je décèle aussi, encore plus sournoise, la volonté de dominer, de prendre pouvoir sur l’autre, de le réduire à ma merci. Je tente de retirer du dehors un amour de soi, la paix du cœur et la joie libre. Par peur, sans doute, je veux que les autres me donnent leur affection et qu’ils répondent à mes désirs, qu’ils me soutiennent, qu’ils soient là pour moi.
E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Vrin, 1970, p. 124.