8.
Mon enquête au pays des passions, tentative et tentation de pénétrer dans la zone du cœur, me réserve bien des surprises. La réalité dépasse la fiction. Ce soir, tandis que je m’évertuais, en me promenant, à forger une meilleure idée de la passion, j’ai rencontré un voisin. Je lui ai demandé comment il se portait, espérant récolter un bref : « Bien, merci, au revoir ! » Et voilà qu’il me dit : « Ça ne va pas du tout ! »
Déjà éloigné de quelques pas, j’ai rebroussé chemin pour entendre sa confession : « J’ai quitté ma femme pour une autre et je suis triste. J’ai mal au cœur. Aujourd’hui je suis fasciné par ma nouvelle amie, mais elle ne veut plus de moi… » J’ai hésité à lui dire qu’il tombait bien, que je m’apprêtais à devenir un spécialiste en la matière et que, somme toute, il s’agissait d’une banale histoire de passion amoureuse… Devant son désarroi, je n’ai pourtant pu qu’aligner de déconcertantes platitudes : « Il faut laisser du temps au temps », « Ça arrive à tout le monde ! »
Je suis complètement désarmé. Qu’aurais-je dû dire ? Mes lectures ne m’ont guère aidé. Les stoïciens, Spinoza, Kant, Hegel, Freud et toute la compagnie sont restés bien muets ce soir. En révélant mon ignorance, cette rencontre m’engage à la prudence et me remet les pieds sur terre. Demain, quelques passions tristes pourraient aussi s’emparer de moi et réduire à néant le peu de force qui m’habite.