50.
Décidément, la crainte me tient au corps et la précarité de l’existence se rappelle à mon âme inquiète. Je viens d’apprendre la mort d’un jeune homme de mon village. Une vieille interrogation ressurgit : le monde est injuste. Il est difficile en ce matin de ne pas en voir la cruelle absurdité. À quoi bon ? Je sais qu’au-delà de la justice, la réalité n’a pas à être juste ou injuste. Si je commence à juger, je suis foutu. La question s’était déjà posée pour le handicap : pourquoi moi ? Pourquoi cette inégalité ? J’avais cru calmer la blessure avec des mots bien connus de Spinoza : « Par réalité et par perfection j’entends la même chose1. » L’injustice est ailleurs. Elle suppose une liberté, une volonté, un responsable.
Trois tours de cordon ombilical tiennent du manque de pot, en aucun cas d’une injustice !
Mourir de faim, la voilà, l’injustice !
Contre les coups du sort, que pouvons-nous faire ? Ce qui est sûr, c’est que la révolte dilapide les forces que réclameraient les vrais combats. J’ai beau vociférer contre l’injustice, que suis-je prêt à donner ? Se détacher de soi, c’est s’engager, aimer concrètement, en actes. Loin de juger, de critiquer tout le monde, je peux oser l’action. Et d’abord, me demander : « Que vais-je réellement faire pour cette famille endeuillée ? »
B. Spinoza, Éthique, op. cit., II, explication 6, p. 102.