71.
Ce matin, j’ai passé une heure à me bagarrer gentiment avec mon fils. Je l’ai traîné sur le sol, il m’a donné quelques coups de poing dans le ventre, nous nous sommes serrés dans les bras, virilement. Puis nous avons joué à cache-cache. Parfois nos divertissements étaient un peu turbulents, et pourtant tout s’est terminé dans des éclats de rire. C’est comme si nous nous défoulions, comme si nous transformions une agressivité en jeu, en joie. D’aucuns vont à la chasse, d’autres pratiquent des sports extrêmes pour décharger leur agressivité. Nietzsche a bien dit combien la civilisation s’est payée au prix fort : « Ces formidables remparts que l’organisation sociale a élevés pour se protéger contre les vieux instincts de liberté – et il faut placer le châtiment au premier rang de ces remparts – ont réussi à faire se retourner tous les instincts de l’homme sauvage, libre et vagabond – contre l’homme lui-même. L’hostilité, la cruauté, le plaisir de persécuter, d’attaquer, de changer, de détruire – tout cela se dirigeant contre le possesseur de tels instincts : c’est là l’origine de la « mauvaise conscience1. »
Décidément, on ne tue pas les instincts aussi facilement, et l’agressivité non assumée finit souvent par se retourner contre celui qui ne sait la dominer… ou alors contre le malheureux qui, lui faisant face, en fera les frais.
À sa manière, mon fils m’incite à jouer avec cette sorte de barbarie qui me constitue aussi. Il me montre un chemin pour en faire une alliée. « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête2 ! » Divin Pascal, m’aiderais-tu aujourd’hui non seulement à me débarrasser de mes illusions de maîtrise absolue, mais surtout à affronter tout ce trouble qui s’agite en moi?
Si les résultats du micro-trottoir m’ont fait effleurer la problématique des forces pulsionnelles qui risquent de nous submerger, ils m’invitent avec insistance à une prudence car, à la question six : « Que faire des passions ? Les vivre pleinement ou les réfréner ? », la réponse est quasi unanime : « Les vivre à condition qu’elles ne nuisent pas aux autres ! »