68.

Les internautes me prient de leur transmettre quelques remèdes philosophiques « aptes à apaiser un passionné ». Me voilà bien désemparé. Pourquoi ne pas, ces prochains jours, constituer une sorte de boîte à outils thérapeutiques qui ait à la fois une fonction prophylactique (qui propose des remèdes préventifs) et puisse contribuer à une médecine d’urgence ?

Côté prophylaxie, j’ai assez mentionné mon intérêt pour la méditation, cet exercice gratuit, fastidieux certains jours, qui nous prépare en quelque sorte aux assauts de notre intériorité, et aide à composer avec la fragilité de notre cœur sans qu’il ne s’éteigne tout à fait. Que dis-je ! Bien au contraire, elle nous rend plus vivants. Dans ma pharmacie personnelle, je la conjugue avec l’examen de conscience que l’on trouve aussi bien dans les écoles antiques que dans la tradition chrétienne.

Souvent, après une conférence, des personnes me disent : « Je n’aurai pas le temps de pratiquer l’examen de conscience, je travaille toute la journée. » La pratique tient avant tout d’une ferme volonté. Cette ascèse n’est qu’une invitation permanente à retourner à l’essentiel, quand la pression des circonstances nous arrache à la beauté et à la joie intérieure.

J’emprunte cet exercice de base à la tradition ignacienne. Le saint s’adresse évidemment aux chrétiens, mais est-il besoin d’être croyant pour célébrer l’existence et s’abandonner totalement à elle avec gratitude et confiance ? J’ai coutume, pour ma part, de m’y adonner en compagnie d’un proche. D’ailleurs, peu de choses me réjouissent comme cette ascèse partagée. Quelques étapes jalonnent ce retour aux sources. D’abord, il s’agit de se mettre en présence de Dieu ou de la vie et de s’examiner avec douceur et sans complaisance, dans une sincérité absolue. On ne fait pas le beau, on ne prend pas la pose, on observe, voilà tout.

Je ne suis plus le centre du monde et abandonne pour un temps agitations, tracas, désirs, refus et résistances pour être pleinement ici et maintenant. Je peux alors jeter un regard d’amour sur ce qui m’entoure. Rien de bien original. Le Bouddha, Jésus et tant d’autres ont conseillé de pratiquer la bienveillance, d’emplir son être de compassion, de s’ouvrir à autrui quand notre pente naturelle nous porte toujours à l’égoïsme, au moi d’abord et à l’agressivité.

Puis, relire la journée pour y découvrir tout ce que j’ai reçu de bon et qui, trop souvent, passe pour acquis et relève de la routine. Le merci ici ne tient pas de la politesse mais d’une audacieuse ouverture à la joie, d’un regard qui s’ouvre, recueille et se nourrit.

Je me vois en train de courir à longueur de journée, j’observe les habitudes, grandes ou petites, bonnes ou mauvaises qui me conditionnent ou me libèrent.

Je cours, je cours, sans savoir pourquoi. D’où la nécessité de m’attarder sur mes espoirs et les désirs profonds qui m’animent. Que puis-je attendre de la journée ? Voilà qui, assurément, ramène à l’essentiel et aide à cueillir tout ce que l’existence prodigue et que nous ne pouvons, dans notre hâte, guère apprécier ! Loin de tout jugement et de toute culpabilité, je parviens ainsi à examiner mes faux pas : pourquoi ai-je pareillement perdu patience, et pour si peu ? Sans m’appesantir, pour repartir de plus belle, avec un nouvel entrain, rien de tel que de se demander ce que je peux instituer ici et maintenant. Et que puis-je mettre en œuvre pour continuer dans la joie cette journée ?

Rien de moralisateur. Chaque jour, j’apprends à mieux regarder, à vivre un peu moins automatiquement et à repérer ce qui véritablement me nourrit. La culpabilité n’y a pas de part. L’exercice dégage une voie pour jouir et se réjouir de la vie, quitter le cinéma intérieur qui, nous plongeant dans notre monde, nous voue à l’insatisfaction.

Le Philosophe nu
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