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Je ne le nie pas, la passion a du bon. Je lui reproche simplement de m’arracher au réel. Je viens de recevoir ma leçon de zen et j’ai prêté l’oreille à une consigne bien connue : « Installez-vous dans une position confortable, le dos droit, bien enraciné dans la terre. Comptez jusqu’à dix avec un chiffre sur chaque expiration. Si les pensées s’emballent, recommencez à compter inlassablement. » De sa sacoche, un ami a retiré un gong. Petit, brillant, discret. Il a dédié l’assise à la paix au Proche-Orient. Puis, trois bong ont retenti. Un flot de pensées m’a alors emporté. Passe encore si le peuple palestinien avait absorbé mon attention. Mon esprit errait ailleurs : « Ça doit être génial d’avoir un gong. Non, c’est du sérieux. Je me demande où on en trouve des comme ça ; il y en a sûrement sur Internet… » Je m’agrippe à un morceau de ferraille plutôt que de me jeter corps et âme sur le chemin du oui. La consigne est pourtant simple, triviale presque : laisser l’être, être. Dix minutes auparavant, ce truc de bronze m’importait autant que ma première paire de chaussettes. À vrai dire, j’ignorais même jusqu’à son existence. Et me voici à loucher sur ce machin comme si mon bonheur en dépendait intégralement.