31.
Ce matin, en accompagnant les enfants au Pédibus, je leur ai relaté quelques péripéties de Don Quichotte de la Manche et nous avons bien ri. Pourquoi associer toujours l’ascèse, les exercices spirituels avec l’expiation, le renoncement, le sacrifice, les efforts ? Alors qu’elle tient avant tout de la joie !
Tenter de pratiquer au mieux son métier d’homme, à fond…
Lorsque j’y songe, le mien gravite autour de trois vocations : celle de père de famille, celle d’écrivain et la dernière, celle à côté de laquelle je serais bien volontiers passé : la vocation de personne handicapée.
Le mot et ses relents religieux peuvent rebuter. Pourtant, la vocation est une sorte d’appel, de Dieu, de la vie, de ce que l’on voudra. C’est pourquoi elle est aussi plus forte que moi : je ne l’ai jamais choisie, comme ça, un vendredi matin à huit heures et quart ! Fruit des rencontres, des circonstances, elle s’est imposée. Je préfère parler de vocation plutôt que de sens de la vie car elle m’installe dans le présent alors que le sens vient toujours après, semble-t-il. Sans me charger des difficultés de demain, je m’interroge sans cesse sur ce que je peux mettre en œuvre, ici et maintenant, pour accomplir mes trois vocations au mieux, dans la joie.
Les vocations appellent des règles de vie à enraciner dans le quotidien. Pour ma part, elles exigent d’abord du repos. Tenter, par exemple, un autre usage du corps : celui-ci ne doit en effet pas être l’adversaire, le boulet à traîner, mais bien l’allié, le compagnon des quêtes spirituelles. Concrètement, trois fois par jour, je souhaite, inactif, étendu et sans mouvement, risquer une retraite intérieure quand les pressions des circonstances auraient tendance à m’arracher à moi-même, à m’exiler de l’essentiel.
Mes quintes passionnelles m’apprennent aussi que repos et détachement sont intimement liés. Et je le constate : le détachement vient de la détente. Donc, laisser les tensions, ou du moins, les vivre sans tension, oserai-je dire ?
C’est toujours l’invitation de Spinoza, je le vois, qui m’anime : bien faire et se tenir en joie. La pratique du métier d’homme relève d’une disponibilité à ma famille, à l’autre, à la vie.
Condensée ainsi, l’ascèse paraît fort simple : sans cesse servir hic et nunc les vocations.
Que de fois ai-je lu ou entendu cette invitation à vivre dans le présent, à oser l’abandon ! Tout se passe comme si deux mouvements rivalisaient en moi : l’un convie à l’intériorité et à la liberté, à la conversion, et l’autre me retient, m’entraîne dans les automatismes, les réflexes, la diversion.
Je désire donc m’interroger plus radicalement : qu’est-ce qui constitue le centre de ma vie ? Presque automatiquement, dans l’épreuve et dans mes quintes passionnelles, le centre de l’existence est la souffrance. Au gré des circonstances, d’heure en heure, il se déplace, dans le manque, l’insatisfaction, les fantasmes ou l’autre…
L’ascèse tiendrait-elle du décentrement ?
Au fond, sans me durcir, je dois résister gentiment, doucement aux mille occasions qui me décentrent. Je le pressens, l’habitude est le haut lieu de la pratique. Les théories ne libèrent guère, les livres pas davantage. L’acte, le geste maintes fois répété, peut-être ? Pour qu’il soit fécond, je le devine, toute ascèse, toute exigence doivent naître dans la bienveillance. Quel paradoxe ! Pour oser l’abandon, la confiance, pour entrer dans le repos, un entraînement, de l’exercice sont nécessaires.
Aristote a bien montré que la vertu s’acquiert par des actes. Loin d’un moralisme étriqué, son tonique appel révèle que l’exercice du bien grandit et nous libère véritablement. La discipline de soi n’a qu’une vocation : enraciner dans la joie. Tous ces exercices nous rendent plus vivants, plus libres et plus joyeux.
Et sur ce, une petite sieste !