48.

Récente et fructueuse discussion avec un étudiant en philosophie…

Je réalise combien je m’éloigne de celle qui m’a tant donné :

Lui : Je viens de lire un commentaire de La République de Platon. L’Éros est la force qui nous mène à l’Être.

Moi : Mais nous sommes déjà dans l’être. Il suffit de le ressentir, de le vivre. J’essaie depuis peu de pratiquer la méditation zen. Être couché, ne rien faire, regarder passer le train de nos pensées sans monter dans aucun wagon. Je réalise comme je suis happé par les circonstances et combien peu je m’appartiens.

Lui : Ne crois-tu pas qu’il faille instituer une rupture entre le discours philosophique et la vie ?

Moi : Tu te goinfres de croissants de si bon matin ! Comment tu fais pour avoir un ventre aussi plat ?

Lui : Le sport, et je fais souvent l’amour… J’aime bien Platon. Il faut une ascèse pour vivre une vie authentiquement philosophique.

Moi : Pour tout te dire, la philosophie me gonfle un peu ces temps. En tout cas, elle ne guérit pas, pas moi, du moins !

Lui : Qu’est-ce qui t’aide, si ce n’est pas la philosophie ?

Moi : L’exercice. Tenter d’être totalement là, sans juger, sans qualifier quoi que ce soit.

Lui : Tu y arrives ?

Moi : Parfois. Et même si je juge, j’essaie de ne pas juger le jugement. En ce moment, je découvre que la raison est bien limitée. Ma raison sait qu’il ne suffit pas d’avoir un ventre plat pour goûter la félicité et pourtant quelque chose en moi en doute et désire ce ventre plat.

Lui : C’est le dualisme cartésien. Le corps et l’esprit ne sont pas du même ordre. Voudrais-tu suspendre ton jugement, faire comme les sceptiques ?

Moi : Absolument ! J’ai souvent pensé que s’abstenir de tout qualificatif rendait la vie morne et terne, mais peut-être qu’au-delà de nos appréciations, il y a une beauté, une bonté, une simplicité du monde. Mais nous retombons ici dans des concepts.

Lui : Un caillou, lui non plus, ne juge pas. Le discours, la parole, les mots participent de la beauté de notre condition.

Moi : Mais tenter de ne pas trop qualifier, ce n’est certes pas devenir une pierre. Tu traverses la rue, un passant te bouscule et tu t’abstiens de penser : « Quel abruti, celui-là ! » ou si tu le penses, tu ne nourris pas cette idée, tu ne t’y attardes pas. Voilà un exercice qui peut occuper à plein temps !

Le Philosophe nu
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