41.

Dix minutes d’assise méditative bâclée auront suffi à révéler le tourbillon qui traverse mon esprit, le flot des désirs artificiels.

Dix minutes de vains efforts pour atteindre le silence intérieur, la paix du cœur et qui me montrent combien peu je m’appartiens !

 

Avant d’ergoter sur l’aliénation, le déterminisme, le libre arbitre ou la liberté d’indifférence, chacun ne devrait-il pas tenter l’exercice ? Dix minutes, assis à observer se déchaîner la cascade de ses rêveries. C’est vraiment plus fort que moi. Si même mes pensées échappent à un plein contrôle, que dire des désirs, des émotions et de la passion ? Durant l’assise, je voulais être ailleurs, embrasser mes enfants, je désirais raconter à ma femme mes pérégrinations méditatives ou appeler B simplement pour savoir s’il allait bien…

J’ai fini par éteindre le minuteur. Incapable d’observer sans réagir chaque lubie qui apparaissait. L’envie de me délivrer de mes tensions intérieures a été la plus forte, une fois de plus ! Je n’ai pu que faire mienne l’observation d’Oscar Wilde : « La meilleure façon de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y succomber1 ! »

Durant ces dix minutes, une nouvelle fois, je n’ai pas su percevoir la joie dans l’instant. Il me fallait plus, beaucoup plus. Le zazen me renseigne sur ce mode de vivre qui veut tout posséder, tout garder, tout saisir, au prix de mille et un tourments.

Méditer procède de l’accueil, du non-jugement. Il s’agit d’écouter avec bienveillance les désirs, de les examiner sans les condamner. Comment suspendre le jugement, arrêter de vouloir me changer tout en m’attardant quelque peu auprès des tyrans intérieurs ?

 

L’histoire de Gygès2 que raconte Platon est l’occasion d’un nouvel exercice. Ce vertueux paysan respectait la loi et faisait tout comme il faut jusqu’au jour où il trouva dans un champ une bague, et pas n’importe laquelle : une bague magique. Si on l’enfilait d’une certaine manière à son doigt, immédiatement on devenait invisible.

Qu’advint-il donc du brave Gygès ? Voilà qu’il se livra à divers forfaits. Finalement, pour avoir commerce avec la reine et profiter des prérogatives royales, il tua tout simplement le monarque. Si avant sa découverte Gygès s’était montré honnête et loyal, c’était uniquement par peur. Sous le manteau de la vertu se cachaient en réalité l’égoïsme le plus vil et les ambitions les plus folles.

Qu’arriverait-il si d’aventure je possédais la bague ?

Trouver l’audace d’enfiler l’anneau de Gygès pour pratiquer cet exercice à fond me forcerait à affronter non seulement les désirs mais aussi les manques qui à coup sûr peuplent mon cœur.

1.

O. Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Gallimard, 1992.

2.

Platon, La République, op. cit., l. II, 359b-360d, p. 123-125.

Le Philosophe nu
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