17.

En ce dimanche, Z est absent : ni téléphone, ni courriel, juste un tout petit sms. J’en profite pour relire les réponses au micro-trottoir. Un internaute lance la question qui tue : « Pourquoi discourir sur les passions ? Que cherchez-vous donc dans la vie ? » Déconcertante interrogation qui pousse à resserrer mon enquête.

 

Qu’est-ce que je veux de la vie ?

 

Je cherche la joie inconditionnelle, ce moteur et ce guide. C’est clair. Mais, précisément, qu’est-ce que j’attends de l’existence ? Évidemment, être débarrassé de cette fascination pour le corps que je n’ai pas, qui m’assomme ce matin. Allons plus loin ! À côté de ce souhait, une foule de désirs : moins souffrir, obtenir la paix du cœur, ne plus subir de moqueries, voir mes enfants me survivre, avoir un ventre plat… Les attentes se succèdent sans que le tourbillon jamais ne s’arrête. Mais quels sont cependant les désirs profonds qui m’animent ? Et comment m’y prendre pour les accomplir ?

 

Qu’est-ce que j’attends de l’existence ?

 

Jamais je n’ai véritablement pris le temps d’y songer à fond. Or, l’irrésolution se paie cher en cette matière. Comment atteindre le contentement alors que j’ignore ce que j’attends fondamentalement de l’existence ? Et dire que je m’étonne encore de mon insatisfaction chronique ! Donc mettre un peu de vigilance dans le tourbillon quotidien qui m’entraîne et plus d’une fois me perd… Moins de tiraillements, moins de hauts et de bas, voilà en gros ce à quoi j’aspire avec tant de force ! Surtout, je ne veux plus de ce cœur lourd, fragile, à la merci du premier sentiment venu. Je souhaite la joie inconditionnelle. Saurai-je me donner les moyens de l’atteindre sans me braquer ? Est-ce seulement réalisable ?

 

Cet après-midi, j’ai croisé dans la rue un beau jeune homme. Dans ma tête, le jugement, impitoyable, est tombé : « Espèce de connard ! » Comme je suis loin de la joie inconditionnelle !

 

Qu’est-ce que je veux, véritablement ?

 

Je devine que mon mode de vie m’éloigne souvent de mes aspirations profondes. Ce qui me fait courir ne correspond pas toujours, loin s’en faut, à ce que je désire vraiment. C’est parfois même carrément le contraire ! Par exemple, cette attente des textos de Z, cette agitation perpétuelle qui me fait courir en tous sens, cette incapacité de faire une seule chose à la fois…

 

Qu’est-ce qui me met profondément en joie ?

 

Lorsqu’il s’agit de m’engager sur une voie, de prendre une décision, la joie sert évidemment de guide. L’écouter, c’est souvent aller contre moi, contre les caprices et les désirs de surface. C’est elle qui m’a conduit vers le sevrage et Dieu sait ce qu’il me coûte ! Quand des craintes ou des désirs superficiels voudraient à tout prix m’inciter à la facilité, voici qu’elle exige l’effort et que, comme toujours, elle vise un bien plus authentique. Plus fondamentalement, entendre ses appels, c’est résister à la peur, aux automatismes et parfois aux sirènes du plaisir. Si la tristesse use, la joie donne des ailes, prodigue la force de respecter ses ordres. Aujourd’hui, elle me somme de jeter mon portable, mais je ne puis lui obéir. Déjà, je veux m’en détourner pendant une heure. Après, advienne que pourra !

Pourtant, nulle libération n’est possible sans joie ! Féconde, gratuite, elle n’a évidemment pas à prouver son utilité. Ces temps-ci, je relis souvent le début du Traité de la réforme de l’entendement de Spinoza. Les paroles du maître me rappellent les déceptions, les blessures, les manques d’un cœur en proie à l’insatisfaction, aux tiraillements. Quoi de plus essentiel que cette quête : « L’expérience m’avait appris que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ; je voyais qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, ne contient rien en soi de bon ni de mauvais, si ce n’est à proportion du mouvement qu’elle excite dans l’âme : je résolus enfin de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine1. » Je me prends à rêver de troquer une obsession par une autre : ne plus être assiégé par l’envie d’être comme Z et me lancer corps et âme, tout entier et sans retenue, dans la joie.

 

Pour l’heure, je souhaite plus sobrement l’écouter pour m’interroger tout simplement : comment ne pas entraver mon désir profond ?

1.

B. Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, par. 1, Paris, Flammarion, 1964, p. 181.

Le Philosophe nu
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