86.
Le zen consiste à voler la vache du fermier, à dérober le bol au mendiant. En somme, c’est quitter, abandonner tout ce que nous croyons précieux. À commencer par ce petit moi qui me tiraille aujourd’hui. J’ai laissé mon portable dans ma chambre, sous clé… J’y pense constamment.
Première leçon. Rien de nouveau, que l’essentiel : tenir une position juste, observer la respiration, compter les expirations qui doivent être lentes et contrôlées et laisser l’inspiration advenir, paisible. Toujours se concentrer sur la posture et la respiration. Pratiquer zazen pour qu’aucune marge ne subsiste entre la pensée et le réel, pour m’oublier moi-même et n’être que zazen.
Je contemple, admiratif, le père qui donne la retraite. Ses gestes amples et doux, son visage bon et sa bienveillante attention me détendent. Le gong retentit et je dois tenir une demi-heure sans bouger. Mille tracas m’envahissent : « Que vont penser les autres ? », « Déjà que je médite couché… » Je m’agite en tous sens et dès qu’un peu de calme apparaît, je me raidis, anticipant déjà le fait que ce répit ne va pas durer. Pourtant, l’exercice est simple : shikan-taza, s’asseoir, ou se coucher dans mon cas, avec détermination, en étant totalement présent aux six sens – vue, ouïe, odorat, goût, toucher et conscience – sans juger, sans réfléchir délibérément. Tenter en somme le Samadhi, l’absorption complète dans l’activité elle-même, l’oubli de soi. Au fond, zazen c’est oublier zazen, n’être que pure présence. Autant dire que j’en suis loin. Mon épaule est secouée par des spasmes. Je serre les poings, rien n’y fait. Tout mon corps tremble. Les dernières minutes sont une éternité… Toujours ce regard d’autrui. Même dans un dojo, je me préoccupe du qu’en dira-t-on.
Nous quittons la salle après une légère révérence, pour prendre le repas dans le silence. Je contemple tous ces visages inconnus. Des sourires m’accompagnent.