23.
La conversation d’hier illumine encore cette heure. La rencontre, voilà bien le lieu des passions, de la comparaison, de l’attirance et de la possession, de la fascination, de la peur et de la colère, de la honte et des jalousies. Mais surtout de l’amour, de l’émulation, de l’amitié et… de la joie.
Songeant aux minutes heureuses, je me souviens du livre de Richard Layard, Happiness, Lessons from a New Science1. Il y rapporte un questionnaire adressé à des Texanes. J’imagine ces Américaines (de la jeune mère à la ménagère postménopausée en passant par la chômeuse, la secrétaire, l’artiste avant-gardiste) se pencher sur la délicate question : « Qu’est-ce qui vous procure le bonheur ? » Et les braves d’annoter les activités à l’aune du bonheur apporté :
– number one : le sexe, avec 4,7 points ;
– suivi des rencontres et des rapports sociaux : 4 points ;
– de la relaxation : 3,9 points ;
– de la prière, de l’adoration ou de la méditation : 3,8 points ;
– de la nourriture : 3,8 points ;
– de l’exercice physique : 3,8 points ;
– de la télévision : 3,6 points ;
– de l’incontournable shopping : 3,2 points ;
– de l’inévitable préparation des repas : 3,2 points ;
– du bavardage au téléphone : 3,1 points ;
– de l’éducation de sa progéniture, de l’ordinateur : 3 points ex-æquo…
La coupe est pleine. No comment !
Si je m’interroge sur cette échelle assez loufoque, il me semble que la deuxième réponse emporterait tous mes suffrages. À coup sûr, faire l’amour ne fait pas de mal. Cependant, avouons-le, cette jouissance ne dure, par nature, pas très longtemps. Les plus besogneux ou les plus prétentieux, c’est selon, soutiennent la prolonger pendant des heures. Passons ! Dans cette hiérarchie qui prête plutôt à rire, j’apprécie le fait que la rencontre ne soit pas oubliée. Ce qui s’appliquait au bonheur peut certainement orienter ma quête. La joie solitaire pas plus que le plaisir du même nom ne sont la quintessence en leur genre.
Pour échapper à un pesant égoïsme, pour se dépouiller dans la joie, rien ne vaut une véritable rencontre. Mais encore s’agit-il d’abandonner ses préjugés… Car, aussi longtemps que règnent calculs et peurs, tant que les projections travestissent autrui, je ne reste qu’en moi, je ne capture l’autre que pour le façonner au gré de mon intérêt. Comment diminuer cette peur qui ensevelit les individus sous des a priori ? Comment, librement, me rendre disponible pour autrui et me reposer de moi en lui ?
En relisant les notes de ces dernières semaines, je retiens cette profonde aspiration : pour affronter les tempêtes du jour, pour célébrer en toute simplicité la vie, quoi de plus salutaire qu’une rencontre qui me fasse m’épanouir tout en me dépouillant ? Voilà le moteur de mon existence!
Que n’ai-je reçu de la rencontre ?
R. Layard, Happiness. Lessons from a New Science, Londres, Penguin Books, 2006, p. 15.