66.

L’autre soir, en me délestant incongrûment de mes habits, je croyais avoir franchi un cap, progressé d’un degré vers la liberté, mais, l’euphorie tombée, je dois faire face à d’anciens fantômes et de vieilles résistances. Et le découragement n’est jamais loin.

Souvent, au cœur des difficultés, je me dis qu’il n’y a pas de meilleure occasion pour progresser. En irait-il ainsi, aussi, de la passion ? Devant la colère qui me sort de mes gonds, dans la fureur qui m’aliène, dans la fascination qui m’enchaîne, osons un peu de liberté. À la tradition antique, j’emprunte l’idée de me préparer à la journée. Plus d’une fois, je me lève, j’enfile mon pantalon en toute conscience, mais la pression des circonstances fait de moi un automate. L’autre jour, par exemple, avec les policiers, la machine s’est emballée… De fait, je subis les événements sur le mode du pilotage automatique. Ce qui est plus fort que moi – la vie, l’existence, les mille et un hasards du jour – a tendance à m’emporter. Il me faut en tenir compte dans l’art de vivre que j’essaie de dessiner.

 

En ce début d’année, c’est l’heure des résolutions. Mille fois, j’en ai pris ! Le matin, à maintes reprises, je m’engage à ne pas m’énerver au moins jusqu’à midi. En général, j’arrive à grand-peine à dix heures sans qu’une bagatelle m’ait agacé, qu’un petit rien m’ait courroucé ! Donc : multiplier les retraites en soi-même, se demander où l’on en est, observer les émotions, les sentiments et le chaos comme autant d’occasions non pas de maîtrise mais d’abandon, de reddition, de capitulation. Il s’agirait même de lâcher le lâcher-prise, sans raideur.

Pour ne pas se faire manger (bouffer ?) par l’adversité, je dois me recréer, me reposer. Je pourrais continuer à aligner les pages et faire mille théories sur l’art de vivre : tant que je m’accrocherai à ce que je suis et à ce que je possède, je n’irai pas loin ! Tant que je ne m’ouvrirai pas au présent, tout ce que j’accomplis ne sert à rien ! Car le plus difficile, c’est de tenter l’abandon dans les tourments de l’existence, dans l’ici et maintenant, dans mes quintes passionnelles. Quand la vague est passée ou quand elle est encore très lointaine, il est facile de pratiquer. Mais que faire en pleine tourmente ? Comment oser le détachement lorsque ce que je sais être plus fort que moi va me laisser démuni et sans armes ? Voilà le cœur de la pratique ! Voici mon boulot pour l’an neuf !

 

J’avais pensé être encouragé et soutenu par ces messages qui me parviennent quotidiennement du micro-trottoir. J’en attendais des réponses, des solutions, une marche à suivre. Je découvre plutôt le doute. Désormais, je considère que je serai un éternel progressant à l’école des passions. Depuis le début de mon enquête, j’ai perdu quelques-unes de mes illusions : celle de ma pleine puissance, par exemple, celle de trouver des remèdes à tout ou de passer une vie sans heurts, d’avoir un cœur sans blessures… Je mesure aussi la fragilité de ma pratique, à la merci du premier incident venu. Mais ce constat m’enchante. En me contraignant à renouveler mes forces, il me met en joie.

Tout est à revisiter, à revoir surtout. En ce début d’année, deux notions s’affrontent dans mon esprit : intériorité et extériorité. Je les ai peut-être trop séparées, me réfugiant dans la raison plus que dans l’intériorité et fuyant l’extérieur plutôt que de l’habiter réellement. Mon foutage à poil n’était ainsi que la provocation maladroite et juvénile d’un être disloqué, le rêve d’une transparence – d’une nudité – où le corps n’est plus opposé à l’âme, où l’extérieur n’est pas l’autre face de l’intérieur mais son complément.

 

Éviter de tomber dans le travers que je dénonce : ne pas faire de la spiritualité un haut lieu du nombrilisme.

 

Je veux apprendre des autres, me laisser enseigner et voir comment la passion se vit ailleurs.

Le Philosophe nu
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