3.

Depuis vingt-cinq minutes, j’attends, fébrile, le texto de vingt et une heures. Z ne m’a pas écrit. Je suis lié. Que dis-je : ligoté, boulonné à lui. Mon attachement inconsidéré doit cesser. Si mon docteur m’a prescrit ce « Traité des passions », c’est justement parce que ma fascination pour Z vire à l’esclavage. Il est le dieu dont dépend ma joie. Dieu a le droit de vie et de mort sur ma bonne humeur. Je sais qu’il incarne pour mon imagination tout ce que je ne suis pas : une silhouette mieux bâtie, un garçon, pour ainsi dire insouciant, qui prend l’existence avec légèreté. Mais de là à délaisser toute joie, à perdre le goût de la vie…

Depuis une semaine, je n’en peux plus et j’ai donc commencé un sevrage. Je le vois moins, et, d’un commun accord, il m’abreuve de quelques textos, signes de vie, substituts d’une présence aliénante, méthadone pour l’âme. Le côtoyer me trouble, pourtant son absence me déchire. Ce qui m’aide, pour l’heure, c’est d’en faire mon maître en détachement. Mon aliénation sera le lieu de ma liberté, son terrain d’exercice. Nul besoin de chercher ailleurs un si constant appel à la pratique.

Banalement, je suis obsédé. Oui, c’est bien le mot ! Jamais je n’ai mieux perçu l’étymologie de ce terme : être assiégé. Un bruit de fond, en somme. Jour et nuit, l’absence de Z me harcèle. Je m’endors en pensant à lui, je me réveille avec lui et le premier geste du matin me précipite sur mon portable pour voir si Dieu m’a écrit. Aujourd’hui, je tenterai le chemin inverse de l’apothéose et détrônerai Dieu, le ramènerai sur terre sans le haïr. Y arriverai-je ? D’abord, fermement, je le redis, je veux le considérer comme mon maître en détachement. C’est d’ailleurs son nom, dans le répertoire de mon téléphone. Ses messages, ses appels, sont annoncés par ce titre. Me voilà sans cesse convié à la libération ! Il me plaît de transformer les obstacles ou les difficultés en occasions de progrès et d’envisager Z comme un maître intransigeant qui me pousse à la liberté. De même, dans la tradition zen, on offre sa totale confiance au maître. Il peut tout exiger du disciple. Aussi, je me départis un peu de ma volonté qui désirerait le voir tout le temps, pour lui laisser le soin de me dire quand il souhaite me rencontrer. Ce qui ressemble à de la soumission vient ici me libérer de mes propres désirs tyranniques. Dans mes épreuves, j’ai de la chance, car je sais que je peux faire confiance à Z. Il veut mon bien, peut-être plus que moi, d’ailleurs. En pleine obsession, j’oublierais le goût de la liberté.

Le Philosophe nu
titlepage.xhtml
part0000.html
part0001_split_000.html
part0001_split_001.html
part0002.html
part0003.html
part0004.html
part0005.html
part0006.html
part0007.html
part0008.html
part0009.html
part0010.html
part0011.html
part0012.html
part0013.html
part0014.html
part0015.html
part0016.html
part0017.html
part0018.html
part0019.html
part0020.html
part0021.html
part0022.html
part0023.html
part0024.html
part0025.html
part0026.html
part0027.html
part0028.html
part0029.html
part0030.html
part0031.html
part0032.html
part0033.html
part0034.html
part0035.html
part0036.html
part0037.html
part0038.html
part0039.html
part0040.html
part0041.html
part0042.html
part0043.html
part0044.html
part0045.html
part0046.html
part0047.html
part0048.html
part0049.html
part0050.html
part0051.html
part0052.html
part0053.html
part0054.html
part0055.html
part0056.html
part0057.html
part0058.html
part0059.html
part0060.html
part0061.html
part0062.html
part0063.html
part0064.html
part0065.html
part0066.html
part0067.html
part0068.html
part0069.html
part0070.html
part0071.html
part0072.html
part0073.html
part0074.html
part0075.html
part0076.html
part0077.html
part0078.html
part0079.html
part0080.html
part0081.html
part0082.html
part0083.html
part0084.html
part0085.html
part0086.html
part0087.html
part0088.html
part0089.html
part0090.html
part0091.html
part0092.html
part0093.html
part0094.html
part0095.html
part0096.html
part0097.html
part0098.html
part0099.html
part0100.html
part0101.html
part0102.html
part0103.html
part0104.html