5.

Depuis que j’enquête sur les passions, je prête l’oreille à tout. Pas une discussion de bistrot qui ne capte mon attention. Je ne suis pas le seul à être passionné. Je devine en tout cas que rien ne sert de lutter contre mon obsession. Je désire plutôt me reposer de moi dans l’autre et pratiquer le détour. Je suis las de combattre, fatigué de lutter. Pour Lévinas, « rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme1 ». Cette énigme me fascine. Devant l’étrange condition qui est la nôtre, je ne cesse de m’émerveiller, non sans crainte parfois. Il paraîtrait que nous sommes des êtres rationnels. Par moments, j’en doute, car si l’on me filmait quelques heures à mon insu, on pourrait à bon droit remettre en cause mon appartenance à l’espèce ! Souvent, bien que je les sache complètement absurdes, je me lance tête baissée dans de folles aventures. Alors que je pressens que tout va me péter à la gueule, j’y vais quand même.

Pourquoi m’engouffrer dans des situations qui, par un prévisible effet boomerang, vont me nuire durablement, voilà le cœur du problème : je connais les méfaits de la colère, je sais que cette petite partie de plaisir se soldera par un cruel ravage, et j’y vais quand même. Après tant de faux pas, la queue entre les jambes, aspirant à la maîtrise de soi, il ne me reste plus qu’à revenir, impuissant, à mon journal. Comment donc cheminer vers la joie avec tout ce qui me dépasse, avec ces automatismes, ces réflexes et ces manques, apanages d’une condition fragile mais si belle ?

Devant mon désarroi, j’ai même fait circuler, il y a peu, un micro-trottoir, sorte d’enquête sur les passions. J’ai voulu recueillir, pour tout dire, quelques remèdes aux maux qui me tiraillent.

Avant de décacheter les premières réponses de ce questionnaire et commencer à prendre le pouls des passions qui animent le cœur des autres, il est peut-être fécond de coucher sur le papier ce que j’estime déjà connaître sur le sujet. En plein sevrage, quand tout me porte à les mépriser, je crois pourtant, comme Descartes, que le bon usage des passions fait le bonheur de l’être humain. Ce n’est donc pas rien, cette affaire !

 

Mais de quoi, diable, dépend mon bonheur, notre bonheur ?

1.

E. Lévinas, En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, in A. Finkielkraut, La Sagesse de l’amour, Paris, Gallimard, 1984, p. 30.

Le Philosophe nu
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