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Séance de zazen. Un joli chiasme m’a traversé l’esprit : ascèse du désir, désir de l’ascèse. Il faut une certaine forme de passion pour désirer rester assis-couché quinze minutes alors que le téléphone ne cesse de sonner et que tout appelle à l’affairement !
Sans une tenace détermination, je ne serais sans doute pas là, à rédiger ces lignes. Il existe donc des désirs bons et productifs ! Aller vers un peu de détachement, ce n’est pas nécessairement tous les réprimer. Dans Le Miroir vide, Van de Wetering1 rapporte une parabole qui donne à réfléchir, à désirer et à pratiquer.
Un jeune homme se rend à la montagne pour rencontrer un saint qui habite non loin d’une rivière. À son arrivée, l’ermite lui demande : « Que veux-tu ? » et le garçon de répondre : « Maître, devenir votre disciple. » « Pourquoi ? » s’enquiert aussitôt le sage. « Parce que je veux trouver Dieu », rétorque le visiteur. Soudain, le maître saisit solidement la tête de son hôte pour la plonger et la maintenir dans la rivière. Après une minute, il libère l’inconnu et l’interroge : « Que désirais-tu le plus quand je te tenais la tête sous l’eau ? » « De l’air ! » dit le garçon. Le sage le prie alors de revenir quand il aura autant besoin de Dieu qu’il a eu besoin d’air !
De cette histoire, je retiens que seul un désir véritable de liberté peut nous aider à progresser. Parfois, j’ai l’impression de dilapider mon temps à poursuivre des buts mondains, de chercher mon bonheur là où il n’est pas. À quoi bon tenter de vider la mer ? Oui, il se fait comme un regret en moi en songeant que si j’avais dédié ma vie au désir de la liberté, je serais un peu moins tourmenté ! Oui, si je m’étais consacré à cet appel, sans m’égarer dans de vaines ambitions, assurément je souffrirais moins. Mais trêve de regrets, seul le présent importe.
Ascèse du désir, désir de l’ascèse…
Ici, le paradoxe semble absolu : plus nous aimons la vie en nous, plus nous pouvons nous détacher de nous. Plus elle nous nourrit, plus l’ego possesseur, tyrannique, vorace, disparaît. Le désir de joie, la soif de félicité, tout appelle à quitter ce petit moi. Oui, la joie se cultive à domicile, au fond du fond, loin du moi capricieux. Montaigne me guide : « Chacun court ailleurs et à l’avenir, d’autant que nul n’est arrivé à soi2. » Je devine que c’est le mécontentement qui me ligote et me rend dépendant de chimères et d’ombres fugitives. Non, ni les guerres intestines, ni le mépris de soi, ni la répression acharnée ne délivrent.
Et sur ce, petit tour à pied avec les enfants.