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Ça y est, ma valise est prête : trois caleçons, trois paires de chaussettes, la pompe anti-apnée du sommeil, des livres audio à profusion… Me voilà paré ! Avant de me pencher sur la persévérance, avant d’envisager un examen de ce qui m’aiderait à tenir mes engagements, je m’octroie une petite pause salutaire en région parisienne.
Me voici en route pour aller rendre visite à un moine bénédictin qui, depuis de nombreuses années, enseigne le zen. Zen et prière sont, depuis quelques semaines, deux piliers, deux appuis pour mes progrès, deux sources de joie. Je tremble d’avance devant l’accusation de syncrétisme qui pourrait m’être adressée et que tout philosophe fuit comme le feu. Pourtant je pratique assidûment les deux et un peu de paix, au moins en de courtes occasions, m’envahit. L’étiquette de « handicapé » pèse déjà lourdement sur moi : si je fais une sorte de coming out spirituel, je ne voudrais surtout pas que l’on m’en colle une autre.
La foi de mon enfance m’a légué un lourd héritage : sentiment de grande culpabilité, peine à éprouver une joie totale sans craindre une tuile, terreur de la punition, exigences morales souvent accablantes, et j’en passe. Cependant, au milieu de ce fatras, je découvre aussi un goût de l’autre, une certaine sensibilité pour les faibles et la conviction intime que si Dieu existe, il transcende les caricatures qui l’avilissent – qu’il dépasse toute représentation.
Tout a donc commencé il y a quelques mois, lorsque Jacques Castermane a organisé une conférence suivie d’une journée de pratique. Mon épouse, qui s’adonne à la méditation depuis quelques années, s’y est rendue et a invité le sceptique que je suis à l’accompagner. Le thème m’a d’abord intrigué : « Quand je marche, je marche – Le zen ». Contre toute attente, le corps et sa beauté se sont rappelés à moi.
Si je jette un bref coup d’œil à mon existence, j’aperçois un corps qui s’annonce massif, puis une sorte d’échappée par la raison. Aujourd’hui, mes quintes passionnelles me ramènent à lui. Je l’ai deviné durant cette initiation, le corps peut devenir un allié, un conseiller et – pourquoi pas ? – un guide. Curieux paradoxe : la spiritualité, la foi me rapprochent de l’expérience du corps ! Jusqu’à présent, je l’avais associé à mon malheur, et voilà qu’en ce jour, pratiquant le kinhin (méditation en marche), j’ai pressenti que, compagnon négligé, il reste pourtant d’une loyauté et d’une fidélité implacables.
Ainsi, parler de sagesse du corps n’est pas un oxymore.
Voilà la vraie raison de mes préparatifs de départ : ne plus faire le grand écart entre la foi de mon enfance et cette nouvelle pratique. Confrontée à mes quintes passionnelles, l’expérience du zen me met en garde contre l’épuisement. Pour progresser, il faut se recréer, et d’abord tenter de se détendre un peu… La paix du cœur passera-t-elle par là ? Se détendre : un verbe que je commence à savourer. Auparavant, dans le combat de mon handicap, je ne l’aurais même pas apprécié, encore moins espéré.