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Avec Z, devant la photocopieuse, je suis en train de commettre le forfait le plus infâme… Non, je n’ai pas hésité à dupliquer Les Trois Piliers du Zen1, ouvrage aujourd’hui épuisé.
Nous continuons à prospecter et à tester des outils. Depuis des mois, nous cherchons tous deux un exercice qui aide à désidéaliser, une bonne fois pour toutes, le corps des hommes de mon âge. Le merismos ne fait pas effet. J’ai beau découper et redécouper le corps des autres en fines lamelles, la fascination demeure. Si je pouvais seulement vivre une journée dans leur peau… Nul doute que mon envie passerait.
Voici un premier outil (de base) : ne pas rester seul avec ses obsessions, ne pas se cloîtrer avec ses fantômes. Tiré de notre pharmacopée, un deuxième occupe une bonne place : l’option le-lot-entier-ou-rien. Interdiction totale de loucher sur le sort d’autrui tout en dédaignant certaines parties de l’assortiment (donc, haro sur tout discours du genre : « Moi j’aimerais la pizza Apollon, rehaussée de l’humour de mon ami B, si possible avec mes enfants et ma femme en plat de résistance. Par contre, si vous pouviez enlever les anchois et le chômage, ce serait parfait ! »)…
Vil discoureur que je suis ! Je conditionne toute ma joie à la beauté. Tous les outils existentiels du monde ne serviront à rien si je n’habite pas mieux mon corps. L’objet de ma fascination, je lui confère malgré moi le droit de me rendre triste.
Il n’existe pas trente-six mille manières d’aborder le problème : soit la désidentification complète (non, je ne suis pas ce tas d’os et de peau, non, mon véritable être n’a rien à voir avec cette enveloppe charnelle), soit un processus d’acceptation totale du corps que l’existence m’a confié. Tout me porte à essayer cette option-ci… Complète, totale, voilà bien toujours ce fichu extrémisme, l’expression de mon volontarisme étriqué. Peut-être se trouve-t-il une voie médiane ? D’instant en instant, progressivement, accepter mon corps ?
Bon, assez gambergé ! Vingt minutes de zazen (haut lieu du non-refus !)… Tout est à (laisser) faire, en un éternel recommencement.
P. Kapleau, Les Trois Piliers du Zen, Paris, Stock, 1972.