97

Ginny sentit quelque chose lui échapper lorsqu’elle passa sous le regard froid du cordon de géants qui entourait le val. Sa bulle de protection s’affinait, et respirer devenait de plus en plus difficile. Après avoir tiré dans une direction puis dans l’autre, la pierre avait faibli, et finalement Ginny se figea, restant aussi immobile que les statues. Le défilé par lequel elle avait choisi d’entrer était encore visible dans son dos.

Ce refus de la guider davantage ne pouvait signifier qu’une chose : elle était allée trop loin ou avait avancé trop vite. Elle se trouvait dans un endroit où une pierre seule n’était pas en mesure de la protéger.

Dans ce cas, pourquoi lui avait-elle donné de faux espoirs ?

Elle s’essuya les yeux et remarqua que des particules de suie flottaient autour d’elle, mises en contraste par la montagne de glace suspendue, le pic vers le bas, au-dessus de la vallée. Sous ses yeux, des aiguilles et des rubans bleu saphir jaillirent du sol dans un silence sépulcral. Elle les suivit du regard et son cou se raidit. Bientôt, ils formèrent un anneau de colonnes tout autour du périmètre de la vallée, comme pour enfermer dans une cage la Fausse Cité, la structure centrale couleur jade. De la brume se forma autour des montagnes, qui s’épaissit pour former des nuages pareils à ceux qu’elle connaissait chez elle… ce « chez-elle » qui n’existait peut-être plus. Avait-elle réellement grandi et vécu quelque part ? Ses souvenirs étaient-ils réels ?

Ici, le pinacle de glace et les piliers possédaient un genre de beauté étrange plus terrestre que chaotique, comme la partie immergée d’un iceberg, peut-être, ou une image inversée des Alpes. Bizarre comme une chose insensée pouvait paraître convaincante une fois entourée d’éléments tout juste peu probables…

Son épuisement devint sombre et profond, et elle s’allongea sur la surface molle et irrégulière de sa bulle. Ses yeux, cependant, refusèrent de se fermer. Impossible de dormir ; elle n’avait pas fermé l’œil depuis qu’elle avait quitté l’entrepôt de Bidewell.

Si elle s’endormait – si elle parvenait à rêver –, elle verrait que sa visiteuse, son autre, était déjà à l’intérieur de la cité verte et fantomatique. Elle en était certaine. Tiadba aussi était venue au mauvais endroit.

Toutes les deux avaient été trompées.

Toutes les deux avaient été trahies.

Ginny pensa à la brute horrible et trapue et à ses insinuations. Elle n’avait même pas parlé à Jack et Bidewell avant de partir. Ni même à Daniel. Que lui auraient-ils dit, de toute façon ?

Peut-être lui auraient-ils conseillé d’attendre. C’est ce qu’elle ferait maintenant, puisqu’elle n’avait plus le choix. Elle resterait couchée juste au-dessus du sol de la vallée, entourée par des montagnes et des géants paralysés, sous un pic de glace inversé qui menaçait de tomber à chaque instant… et elle attendrait. Elle resterait là pour toujours, s’il le fallait, jusqu’à ce que la fatigue ait raison d’elle, jusqu’à s’envoler dans les airs, telles des cendres.

Ce moment s’étira. Elle essaya de rouler sur le côté, de changer de position, mais la bulle se referma sur elle et l’immobilisa. Allongée sur le dos, elle vit le cercle de feu derrière la montagne de glace. Celui-ci était devenu orange foncé, tandis que le disque de ténèbres à l’intérieur avait viré au gris pourpre. Lentement, des volutes de brume bleue obscurcissaient le ciel froissé, et une lumière dorée embrasait les nuages. Le ciel lui-même rétrécissait.

C’était effrayant et magnifique.

Alors que ce qu’elle avait vu jusque-là était effrayant et laid.

— Quelque chose de nouveau arrive, murmura-t-elle entre ses lèvres engourdies.

Quelque chose de nouveau, donc d’ancien.