Le Canal

Pahtun réunit les neuf créatures sur le lit du canal sous l’imposante double arche, se tint devant eux et les examina d’un air solennel. L’instructeur était au moins un tiers plus grand que Khren, qui était le plus costaud d’entre eux.

— Vous avez été choisis parce que votre sang vous pousse à partir, commença-t-il d’une voix grave et triste. Malgré votre enthousiasme, vous aurez besoin d’aide et de tempérer un peu vos ardeurs. Vous êtes inexpérimentés… courageux, certes, mais bêtes. (Perf se tortilla, mal à l’aise, comme s’il craignait que tous les regards se portent vers lui.) Dehors, il n’y aura pas de gardien pour vous ramener gentiment à la maison si vous êtes blessés. Dehors, vous connaîtrez pire que la douleur, pire que la mort. Voilà ce que promet le Chaos. Au-delà de la frontière du réel vous attend le plus grand défi jamais lancé à des êtres humains. Et j’inclus dans ce groupe les Grands Eidolons eux-mêmes, maudite soit leur arrogance.

Pahtun attendit une éventuelle réaction de ses recrues, mais celles-ci ne pouvaient pas être choquées puisqu’elles ignoraient tout des Eidolons, grands ou petits.

Il agita sa main aux longs doigts, et Tiadba remarqua qu’au bout du sixième – il avait six doigts et un pouce bizarre au centre de la paume –, il y avait une fleur rose. Elle l’observa patiemment pendant qu’il continuait à parler et à agiter la main, et se rendit compte que cette fleur était en réalité un bouquet de doigts plus petits, qu’il utilisait peut-être pour accomplir des tâches minutieuses. (Nico, pour sa part, était persuadé qu’il s’en servait pour se curer les oreilles.)

— Personne ne peut dire ce que vous allez voir et vivre, reprit Pahtun. Le Chaos a quelques caractéristiques constantes, voire en partie explicables… mais quelques-unes seulement. De l’autre côté, presque tout ne sera que changement, sans ordre ou raison. Acceptez-le. Le danger sera permanent. Votre entraînement ne suffira pas, mais vous devrez vous en contenter. Ceux d’en haut ont décidé pour vous… (Il pencha la tête en arrière et regarda loin au-dessus des trois îles.) Laissez-vous porter par votre instinct, celui qu’on vous a implanté, qu’on a nourri… par votre courage déraisonné. (Il prit une profonde inspiration.) Car vous allez partir. Vous allez entreprendre ce voyage. Vous allez marcher. Vous n’avez pas le choix. Nous n’avons pas le choix.

Tiadba prononça à voix haute un mot étrange :

— Amen.

Les autres l’imitèrent, avant d’échanger des regards incrédules.

— À présent, je vais vous montrer les outils qui permettront peut-être à votre corps et à votre esprit de ne pas se dissocier dans le Chaos.

Pahtun siffla une longue note grave, et ils se levèrent.

Leur escorte les guida jusqu’au dôme argenté.

Luisantes, étranges, les armures pendaient aux parois de l’abri tels des nids de podes étonnamment colorées. De tailles et de formes différentes – il y en avait pour tous les types de marcheurs –, elles étaient orange, rouges, bleues, vertes et jaunes. Ce qui était surprenant pour des vêtements censés leur permettre d’échapper à des chasseurs.

— Ce sont les meilleures combinaisons que les Modeleurs de la Kalpa aient jamais fabriquées. Ici, les générateurs de la cité nous protègent. Dans le Chaos, ces armures vous protégeront aussi jusqu’à un certain point. Les lois et les principes qui permettent à la vie et à l’esprit d’exister règnent à l’intérieur de ces coquilles… comme on pouvait s’y attendre de la part des Modeleurs qui les ont conçues.

— Que sont les Modeleurs ? demanda Nico.

— Ils sont comme moi, mais différents, répondit Pahtun. Je n’en ai jamais vu.

Il n’en dit pas plus.

L’instructeur montra aux créatures leurs combinaisons et leur suggéra de les essayer. Tiadba reconnut immédiatement la sienne. Elle effleura sa coquille externe : lisse, orange et tiède. L’armure vibra sous ses doigts et émit un bruit, comme pour signifier son acceptation.

Grayne leur avait parlé de ces merveilles, mais elle avait omis de leur dire que les armures grimpaient sur vos membres et votre tronc, mues par une volonté propre. Ainsi, elles enveloppèrent toutes seules des créatures alors qu’elles se trémoussaient et se tortillaient. Herza et Frinna essayèrent de s’en débarrasser, mais échouèrent. Ceux qui furent revêtus les premiers regardèrent les autres avec des yeux amusés et nerveux.

Les casques pendaient sur leurs épaules comme des bonnets coupés en deux jusqu’à ce que, sur l’ordre de Pahtun, ils se redressent, se solidifient et se scellent de façon hermétique. Enfermée dans son armure, Tiadba ne se sentit cependant aucunement oppressée. Elle respirait normalement, et l’air semblait pur. Seules de légères démangeaisons aux jointures la génèrent un peu, mais elle apprit vite à les ignorer.

— Elles deviennent comme une seconde peau, expliqua Pahtun. Une peau intelligente et talentueuse. Grâce à votre armure, vous échapperez à des souffrances sans fin. C’est une invention ancienne, quoique toujours merveilleuse à mes yeux ; néanmoins, elle a ses limites. Elle est capable de sentir le moindre changement, le plus petit glissement dans les règles, chose très fréquente dehors. Votre armure transformera et traduira les données recueillies dans le Chaos de façon que vous puissiez distinguer les ombres de la lumière, les couleurs et les formes. Elle vous aidera à vous maintenir sur ce qui fera office de surface, à vous déplacer dans le paysage. À atteindre peut-être votre destination, soit une zone sur laquelle le Chaos n’a pas d’emprise.

» Le Chaos n’est pas complètement sans formes, ni caractéristiques. La météo n’y est pas une notion inconnue : certains endroits y sont entièrement transformés ; d’autres, au contraire, sont quasi intacts. Nous observons parfois pendant de très longues périodes ce que nous prenons pour un glacis de constance, alors qu’en réalité les règles ne cessent de changer. L’incapacité à apprendre et à s’adapter rapidement s’y paie comptant. Tout comme votre armure, vous devrez vous adapter et apprendre.

Deux des membres de leur escorte apportèrent un genre d’œuf plat monté sur un fin trépied noir : un générateur de réalité portable, capable de créer une suspension autour de leur groupe pendant plusieurs veillées.

— Dans la Kalpa, dit Pahtun, l’illusion de réalité ancienne est maintenue par nos générateurs. Si jamais vos armures faiblissaient ou vous jouaient des tours, ces machines de taille réduite vous protégeraient un temps.

Toutefois, entourés de ce genre de protection, ils seraient dans l’incapacité de progresser vers leur objectif.

Ensuite, il leur montra leurs armes, dont ils ne devraient en aucun cas se servir à la légère ou de manière agressive, sous peine de se faire remarquer. Il s’agissait de lames incurvées et lumineuses appelées des « claves ». Elles coupaient moins qu’elles accéléraient le changement, expliqua Pahtun.

— Les claves aiguillonnent le Chaos, elles stimulent ses tendances propres. Leur effet est imprévisible. Ce qu’elles touchent ne se désintègre pas et ne cesse pas forcément de fonctionner.

» En dehors de votre cerveau, vous n’aurez pas d’autres armes.

Il était toujours préférable de fuir et de se cacher. Ainsi, leur entraînement consistait surtout en l’apprentissage de la discrétion. En revanche, on ne leur avait encore rien révélé sur les ennemis qu’ils devraient éviter.

— Pourquoi ne vous équipons-nous pas de véhicules : de machines volantes, de vaisseaux spatiaux, d’engins terrestres ? demanda Pahtun. Pour une question d’échelle… une limite de taille s’applique à nos générateurs. Autant ce simple générateur suffira à protéger votre groupe, autant la gestion de véhicules nécessiterait l’usage d’une machine beaucoup plus grosse… énorme. Par ailleurs, un générateur de taille raisonnable n’est capable de gérer que des objets se déplaçant à la vitesse d’une créature qui court. Au-delà, il serait incapable d’appréhender le terrain en temps réel. De plus, le fait de se déplacer trop vite, en employant une force trop importante, attire des vortex de contradiction et d’échec que nous appelons « plis de torsion » et « énigmachrons ». Ce sont des pièges terribles. Ils dévorent, assimilent, incorporent au Chaos tout ce qu’ils capturent… avec ou sans armure. Vous rencontrerez sans aucun doute leurs victimes, récentes ou anciennes. Les victimes du Typhon disparaissent lentement. Des angelins – chargés de surveiller le Chaos – étudient ces monstruosités, autrefois humaines, dans la Tour brisée depuis bien avant ma création.

» Et elles sont toujours là.

» Votre armure est particulièrement vulnérable dans la zone des mensonges, à la limite de la frontière du réel. Ce sont des terres intermédiaires, où les Défenseurs, la dernière barrière de générateurs protégeant la Kalpa, cèdent progressivement la place au Chaos. Vous devrez traverser ce territoire avec la plus grande prudence afin de ne pas avoir à activer toutes les fonctions de vos armures : en se croisant, des champs protecteurs d’origines différentes peuvent produire des réactions imprévisibles. Je vous accompagnerai jusque-là afin de surveiller votre progression. Je n’ai encore jamais perdu un marcheur dans la zone des mensonges. Toutefois, de nombreux instructeurs ont vu leurs recrues se faire happer prématurément par une intrusion ou un pli de torsion.

» Il est des régions du Chaos qui semblent rester constantes à travers les âges. L’une d’elles est la Nécropole : les restes des quatre bions perdus de la Kalpa. Le Typhon a rassemblé ces ruines et les a combinées aux restes pervertis d’autres cités. Là-bas, vous trouverez un avant-goût de ce qui nous attend : une caricature cruelle des grandes citadelles qui, autrefois, parsemaient la Terre. Aujourd’hui, leurs squelettes ou leurs essences – leurs imagos – réarrangés sont réunis non loin de la Tour. Certaines de ces ruines semblent toujours habitées – si l’on peut dire – par des spectres désespérés. Ce qui autrefois vivait ne vit plus, mais persiste à se mouvoir, alors que ce qui était inanimé paraît doué de vie.

» À présent, je vais vous décrire des zones de très grands dangers. L’une d’elles est un genre de chemin, de route qui traverse le Chaos, connue sous le nom de « bande ». Les bandes apparaissent et disparaissent, formant des passerelles qui serpentent entre les régions.

— Que sont-elles ? demanda Tiadba.

— Les bandes sont des voies, des routes. Même dans le Chaos, il y a des hiérarchies : ordre et désordre, force et faiblesse, grandeur et décadence. Les formes et les êtres les plus développés et les plus forts – je n’irais pas jusqu’à dire intelligents – utilisent les bandes pour se déplacer. Il y a notamment les Silencieux, qui ont causé énormément de dommages à nos marcheurs et qui, à l’époque de Sangmer, étaient déjà actifs et puissants.

— À quoi ressemblent-ils ? voulut savoir Nico.

Pahtun secoua la tête.

— Ils prennent de nombreuses formes. Dans la Tour, certains passent leur temps à surveiller leurs allées et venues. Malheureusement, ils ne partagent presque jamais les résultats de leurs travaux avec nous.

 

Devant l’abri en forme de dôme, les marcheurs s’étiraient en grimaçant, essayant de s’habituer à leurs armures.

— La matière ancienne dont vous êtes constitués et qui emplit la coquille de la Terre était autrefois protégée par la suspension qui maintenait le Typhon à distance. Mais lorsque celui-ci s’est resserré autour de la Kalpa, rendant nécessaire l’usage de générateurs de réalité, nous avons été contraints d’abandonner tout ce qu’il y avait à l’extérieur. Dans le Chaos, la masse primordiale vieillit de manière imprévisible, formant des poches de changement et de destruction géologique sur lesquelles les lois de la physique, la gravitation, et même ce vieil espace-temps n’ont plus aucune emprise. Le Typhon semble apprécier cette instabilité… et ce qui amuse le Typhon stimule le Chaos et torture la Terre.

— Vous parlez du Typhon comme si c’était un être vivant, intervint Nico. Est-il vraiment plus gros et plus puissant que les Eidolons, quelle que soit la nature de ces derniers ?

— Je n’en sais pas plus que vous, répondit Pahtun après un moment de silence. Dans le passé, certains humains considéraient les forces mystérieuses de la nature comme des ennemis magnifiques ou bien des dieux implacables. Selon moi, le Typhon est étranger à notre nature : il n’est ni magnifique ni un ennemi respectable. C’est un fléau, une maladie. Très bientôt, vous serez en mesure de vous forger votre propre avis, et je vous conseille de chérir la théorie, quelle qu’elle soit, qui vous aidera à rester en vie.

Macht et Khren parurent intrigués, mais cette réponse ne satisfit pas Nico, le philosophe. Perf, Shewel et les autres femelles semblaient ennuyés et perdus. Denbord et Tiadba se contentèrent d’écouter et de garder pour eux leur opinion.

Pahtun remarqua le scepticisme de Tiadba et s’agenouilla devant elle sur le sable du canal – même ainsi, et bien qu’elle soit vêtue de son armure, il était plus grand qu’elle.

— Vous vouliez me poser une question…

— Nous irons là où nous devons aller, dit-elle, mais qui nous a créés tels que nous sommes ?

— Les Modeleurs, je suppose, sur ordre d’un Eidolon. D’ailleurs, j’aimerais bien rencontrer ce vieux fou, un jour, pour lui donner mon avis. (Pahtun agita ses doigts, puis se toucha le nez, à la manière des créatures.) Il y a une éternité de cela, quand j’étais jeune, j’ai envoyé mes propres éclaireurs étudier le Chaos, enfreignant ainsi les lois du Prince de la Cité… (Il s’interrompit un instant, et son visage se froissa. Tiadba, qui n’avait jamais vu un Grand arborer une telle expression, se demanda ce qu’elle signifiait : tristesse, étonnement, perte… ?) Ils ne donneront jamais de leurs nouvelles. Quiconque quitte la Kalpa ne reviendra jamais, et ce pour des raisons simples et évidentes.

— Pourtant, vous continuez à nous envoyer là-bas ? insista Tiadba.

— Des esprits plus performants que le mien ont élaboré ces plans, et je suppose que nous sommes tous obligés de jouer notre rôle, quelles que soient les conséquences. Vous suivez vos instincts, moi, j’accomplis mon devoir. (Il se leva.) Si mes éclaireurs sont toujours là-bas et libres, peut-être vous aideront-ils… ou pas. Vous devrez vous en méfier comme de tout le reste.

Perf se retourna vers les Gradins perdus dans la brume, loin derrière le camp. Macht joignit ses mains et murmura une chanson pour se calmer.

Les traits de Pahtun se détendirent, et il prit un air distant.

— J’ai foi en ma mission parce qu’il le faut : si l’un d’entre vous réussissait, ce serait merveilleux. Cela justifierait tous les sacrifices consentis par les vôtres.

 

— Le vieux dresseur de podes se repose.

Un Khren râblé approcha de Tiadba d’un pas léger. La jeune femelle l’examina d’un regard critique. Elle était de nouveau triste. Ce n’était pas la faute du mâle, mais Khren et ses amis ne remplaceraient jamais son guerrier, si stupide qu’il ait été à certains moments.

— On a un peu de temps devant nous, dit-il doucement, conscient de l’état émotionnel de la flamme.

Macht et Perf se joignirent à eux.

— S’il te plaît, tu veux bien nous lire des extraits de tes livres ? demanda Perf. Enseigne-nous des choses.

Le velours à gratter de Grayne et les vieux insectes-lettres n’étaient plus là pour la guider. Elle devait déchiffrer les mots toute seule, mais elle se débrouillait de mieux en mieux. Elle s’efforçait de transmettre et d’expliquer aux autres ce qu’elle lisait. C’était ce que Grayne aurait voulu… elle en était certaine. Étrangement, elle ne se rappelait plus ni le visage ni la voix douce, mélodieuse et insistante de la sama.

Les autres arrivèrent à leur tour : Denbord, Nico et Shewel, leur duvet sous le bras. Ils préféraient désormais dormir à découvert, sous les arches sombres, plutôt que dans leurs tentes fines, qui claquaient dans la brise et troublaient leur sommeil.

Tiadba s’assit et ouvrit un de ses livres. Les créatures appréciaient en particulier les passages qui parlaient de Sangmer le Pèlerin et d’Ishanaxade, la fille du Bibliothécaire. Les différents textes se contredisaient, mais cela ne dérangeait aucunement son auditoire.

Par nécessité, elle sautait ou résumait les passages qui lui posaient des difficultés. Certains mots lui échappaient encore, mais chaque fois qu’elle les relisait, elle les considérait d’un regard neuf et avait l’impression de les comprendre un peu mieux.

D’autres passages, répartis dans tout le texte comme des graines de chafe dans un gâteau, leur donnaient plus de fil à retordre. Certains étaient des listes d’instructions : « allez là et faites ceci, puis cela »… Des cartes en mots, disait Tiadba. Il lui arrivait souvent de lire ces passages à cause de leur effet calmant, juste avant que les Grands éteignent les lampes pour le sommeil.

Cette fois-ci, elle jeta son dévolu sur un texte plus familier, tandis que les créatures s’installaient à ses pieds, le regard perdu dans les ténèbres.

— « L’histoire que je raconte est simple… », commença Tiadba.

Ses yeux s’embuèrent, tandis qu’elle repensait aux moments passés avec Jebrassy, quelques veillées plus tôt seulement.

 

« En ce temps, il y a une moitié d’éternité de cela, le soleil nouveau et glorieux – on l’appelait ainsi, alors qu’il brûlait déjà depuis dix billions d’années – était presque entouré par le Chaos du Typhon. Subsistaient cinq mondes, et, sur Terre, douze cités, dans lesquelles étaient réunis ceux qui avaient connu un long déclin aux quatre coins du cosmos.

La plus grande et la plus ancienne de ces cités était la Kalpa. Elle était aussi la plus sage, car elle se préparait depuis longtemps à affronter le moment où le Chaos avalerait le nouveau soleil.

Nombreux étaient ceux à penser que la défaite était imminente.

Le plus illustre des humains de cet âge était un Deva appelé Polybiblios, qui avait voyagé jusqu’au fin fond du cosmos vieillissant pour vivre et étudier à la lumière des soixante soleils des Shens, une grande civilisation sur le point d’être absorbée par le Chaos.

Les Princes des Cités de la Terre offrirent une belle récompense à quiconque le retrouverait et le persuaderait de rentrer. Toutefois, Polybiblios n’était pas seulement absorbé par ses études, il était aussi entouré de régions parsemées de pièges et incapable d’entreprendre le voyage de retour par lui-même.

Le premier à se porter volontaire fut un jeune Soigneur nommé Sangmer, connu et admiré pour son courage et les nombreux exploits qu’il avait accomplis.

Sangmer réunit un équipage et redonna vie au dernier vaisseau intergalactique terrien. Avec cet équipage – constitué de gens courageux, forts et intelligents –, il emprunta la dernière voie accessible et se rendit dans ce coin perdu de l’univers.

Seule une dizaine de membres d’équipage – dont Sangmer – survécurent à leurs aventures nombreuses et difficiles, et rentrèrent sur Terre avec Polybiblios. Le Chaos fit rage, avala tout ce qui était à sa portée, accomplissant son œuvre mortelle et lumineuse, et faillit prendre le vaisseau à de nombreuses reprises. Car, à en croire certains, rien n’est plus tenace et plus pervers, ni plus improbable et plus difficile à combattre que le Typhon.

Sangmer ramena aussi sur Terre la mystérieuse fille adoptive de Polybiblios, dont presque tout le monde s’accordait à dire qu’elle était moins humaine que les Shens, quoique plutôt agréable à regarder.

Elle avait pris le nom d’Ishanaxade – « née de toutes les histoires » – et épousé l’héritage deva de son père.

De retour sur Terre, ils furent accueillis par les Princes des Cités. On organisa de grandes réjouissances, mais aussi des funérailles, car de nombreuses familles avaient perdu leurs enfants dans l’aventure.

Polybiblios commença à travailler dans la tour haute qui dominait le premier bion de la Kalpa et, grâce à la science des Shens, aida à l’élaboration de la Suspension qui protégea le nouveau soleil et maintint le Chaos à distance pour un temps.

Sangmer ne se reposa pas sur ses lauriers ; il continua à voyager comme avant, à étudier, à mesurer et à défier le Chaos, ce qui nourrit encore sa popularité. Alors que ses expéditions coûtèrent la vie à de nombreux fils et filles de bonne famille.

Tant de jeunes gens périrent que Sangmer le Pèlerin fut bientôt appelé « le Tueur de Rêves », titre dont il n’était pas fier. Ainsi, il promit de s’exiler dans les profondeurs des Sessiles et de ne réapparaître qu’après avoir étudié le Silence pendant un âge tout entier.

Ishanaxade émergea de la foule des curieux qui flanquait le ruban de la route pour assister au spectacle de sa pénitence et lui barra le chemin. Sangmer était plié en deux sous le fardeau des disques-mémoires de ses mille camarades disparus.

Personne n’était aussi bien fait qu’Ishanaxade, pourtant, jusqu’à ce jour, ses images et ses représentations restent interdites et sont systématiquement effacées. Personne n’était aussi beau aux yeux de son père et à ceux des curieux qui la virent porter la moitié du fardeau de Sangmer et marcher à son côté jusqu’à la porte des Sessiles, où règne la paix du Silence.

D’aucuns disent que leurs lignes s’emmêlèrent et grandirent ensemble dans l’enceinte des Sessiles. D’autres affirment que leur amour datait du voyage de retour sur Terre. Quoi qu’il en soit, personne ne se plaignit qu’un Soigneur épouse Ishanaxade, car peu nombreux étaient ceux à oser se dresser contre Polybiblios, qui avait sauvé ce qui restait de l’humanité et qui approuvait cette union.

À leur sortie du Silence, Polybiblios leur confia de nombreuses tâches à accomplir ensemble et chacun de leur côté.

Il en fut ainsi et il en sera toujours ainsi. »

 

Tiadba referma le livre, et les jeunes créatures se blottirent les unes contre les autres. L’histoire avait changé depuis la dernière fois qu’elle l’avait lue : des détails n’étaient plus les mêmes, et leurs oreilles désormais exercées les avaient repérés.

— Ce n’est pas une histoire gaie, pas vrai ? remarqua Khren.

— Nous allons tous mourir, dehors, affirma Nico d’un ton grave. Comment se fait-il que je veuille toujours y aller ? C’est ridicule…

Soudain, à travers son voile de fatigue, Tiadba ressentit le besoin de leur parler de Jebrassy, de leur crier qu’il n’était pas mort, de hurler qu’il finirait par les rejoindre, et que sa présence rendrait cette marche différente des autres… Au lieu de quoi elle baissa les yeux et s’affaissa un peu. Ses compagnons ne la croiraient pas et ne seraient pas réconfortés par ses paroles.

— Dormons, maintenant, suggéra-t-elle.

Sous les arches hautes et sombres, les jeunes créatures gonflèrent leurs joues et tirèrent leurs couvertures.

La cité à la fin des temps
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