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Tandis que la lumière déclinait et que les ombres s’allongeaient, Ghentun arrangea ses notes – il les gardait dans un sac avec un petit livre vert – et descendit vers les étages inférieurs de la première île.

Invisible, il se déplaçait de niche en niche et écrivait en purtexte à l’aide d’un doigt-fleur à l’extrémité argentée. Il ressentait de l’affection et de la tristesse pour ses créatures de la jeune génération.

L’esprit de Ghentun vagabondait. Avant de devenir Conservateur, il avait été étudiant en histoire de la cité, ce qui signifiait que, comme tous les historiens de la Kalpa, il en savait très peu sur une grande quantité de choses. En revanche, il était une période qu’il connaissait très bien – même s’il ne l’avait jamais vécue –, une période qui avait commencé avec une étendue de noirceur lisse et absolue parsemée de billions d’étoiles : l’Éclat. Moins qu’un souvenir, à peine plus qu’un rêve.

 

Durant ses premiers cent milliards d’années, le cosmos s’étira, son tissu s’affina jusqu’à donner naissance à des vides dans lesquelles les dimensions avaient des sens différents, nouveaux. Les galaxies se tordirent, se consumèrent, se froissèrent.

L’espace lui-même vieillit, pourrit. Certains disaient qu’il se mourait.

Bien avant l’essaimage des lisières de l’univers et la Diaspora, les humains survivaient sur les dernières îles de soleils artificiels, entourés par un néant vorace. Tel était le statu quo. L’univers, tel qu’il était du temps de sa jeunesse, était considéré comme un endroit frénétique, sordide, anormal.

L’Âge des ténèbres se drapait d’un manteau élimé de dignité tranquille et de maturité, sous la surveillance d’une gérontocratie d’immortels convaincus de posséder la sagesse ultime…

Toutefois, quelques-uns refusèrent de se contenter de ces îles perdues dans les ténèbres abyssales. Une minorité, pas tout à fait saine d’esprit quoique ne souffrant pas d’une suffisance mortifère, émit le désir de partir, de quitter la chaleur et la lumière des dernières étoiles. On refusa de les laisser faire, on les réprima, les écrasa, les exterminant presque. Une poignée réussit néanmoins à s’enfuir, à sacrifier tout ce qu’elle connaissait, à pratiquer les adaptations nécessaires à la vie dans les confins du cosmos, immensité de friches, de déchets et d’espoirs trompés qui s’étirait sur six cents milliards d’années-lumière.

Là-bas, dans le Noir lointain, les nouvelles technologies proliférèrent, à la grande surprise de la gérontocratie. Des explorateurs intrépides découvrirent comment tirer parti des rides et des fissures autrefois mortelles, comment produire d’énormes quantités d’énergie et de matière à partir de ce que la plupart pensaient être un désert stérile et décrépit.

Ces quelques pionniers firent bien mieux que survivre. Pleins de ressources, ils vécurent, prospérèrent et se multiplièrent comme jamais. Pourvus d’une puissance colossale, ils éliminèrent ou absorbèrent leurs oppresseurs.

Ils bâtirent d’innombrables empires.

L’Âge des ténèbres fut suivi par le Trillénium : la plus grande période de croissance et de développement de l’histoire humaine. Les zéros s’ajoutèrent aux zéros. Les histoires se consumèrent, telle une infinité de bougies. L’altérité fut acceptée et toutes les vies, humaines et autres, furent assimilées, améliorées, redéfinissant le concept même d’humanité, conduisant à une série de triomphes et de renaissances.

Personne ne se souciait du fait que l’univers faiblissait et s’affinait – dans son agonie, il nourrissait ses petits avec générosité –, jusqu’à ce que les parents les plus éloignés de l’humanité découvrent l’existence du Typhon.

Il fallut cependant un milliard d’années pour réunir des preuves indiscutables de son existence, plus quelques millions d’années pour l’analyser et le comprendre vaguement. De par sa perversité, il fut à l’origine de sciences nouvelles, de branches jusque-là inconnues des mathématiques, de folies inédites…

Rien de comparable n’avait jamais été observé. Ni endroit ni chose, le Typhon se propageait en se repaissant d’univers vieillissants. D’aucuns le considéraient comme une pathologie, une infection, un parasite : une membrane de changement violente et agressive. D’autres affirmaient qu’il s’agissait d’une création jeune et indisciplinée, qui se développait sur les ruines de l’ancienne.

Là où grossissait le Typhon régnait un silence plus qu’absolu. Les nœuds de cet univers étaient défaits. La géodésique ne voulait plus rien dire, les lignes de visée pointaient des extrémités fractales, l’information était engloutie par toute une variété de singularités : effondrement, stoppage, endvols, contrecepts, plis de torsion, énigmachrons, pièges à fermions…

Il grossissait trop vite pour les appareils qui le surveillaient, déchiquetant la matrice pourrissante de l’univers vieilli et générant des régions, non pas de ténèbres – celles-ci auraient été familières –, mais de désordre incohérent, d’anarchie.

Il se disait que n’importe quoi pouvait arriver là-bas. Mieux encore, que tout y arrivait effectivement.

Les plus hardis et les plus entêtés des enfants de la Terre – la dernière vague de la Diaspora – ne purent pas tolérer une chose pareille. Toutefois, comme ils n’étaient pas non plus de taille à la combattre, la plupart d’entre eux succombèrent.

Ce fut un massacre sans précédent dans toute l’histoire de l’humanité. Les survivants attachés à leurs origines terrestres se retirèrent dans le système où tout avait commencé. Ils – descendants des hommes, hybrides et alliés divers – s’abritèrent sur la vieille et solide Terre, à la lumière faiblarde d’un soleil ranimé, entourés de quelques planètes mourantes.

Ceux qui s’étaient transformés en d’autres genres de masse et d’énergie furent contraints de cohabiter dans des environnements exigus. Des temps difficiles suivirent, des milliers de siècles d’une violence inutile : les Guerres de masse.

À l’extérieur, le Typhon faisait rage et gagnait du terrain.

 

D’une certaine manière, le dernier chapitre de la Kalpa avait commencé plus d’un million d’années plus tôt, lorsque les Princes des douze cités de la Terre avaient demandé à Sangmer le Pèlerin de retrouver et de leur ramener un ex-citoyen appelé Polybiblios, réfugié dans les royaumes des Shens – créatures qui affirmaient n’avoir aucun lien de parenté avec l’humanité. Sangmer avait traversé les derniers rubans de cosmos libre pour rallier les soixante soleils des Shens et trouver Polybiblios sur le plus grand des mondes du Collier, où l’homme travaillait. Ensemble, ils avaient traversé les friches menacées pour regagner la Terre. Polybiblios avait acquis un grand savoir au contact des Shens.

Sangmer ramena également sur Terre une créature pour le moins étrange appelée Ishanaxade. Certains disaient qu’Ishanaxade était la dernière de son espèce, qu’elle avait été sauvée et recueillie par les Shens, qui l’avaient laissé se développer à sa guise pendant quelques millions d’années, avant que Polybiblios lui donne une forme nouvelle. Les légendes sur cette époque lointaine – pourtant souvent contradictoires – s’accordaient sur le fait que Polybiblios avait adopté Ishanaxade, qu’il en avait fait sa fille, et confirmaient toutes que la créature avait été fiancée à Sangmer durant le voyage de retour vers la Terre… ou juste après. Sangmer avait d’ailleurs été largement récompensé d’avoir pris tous ces risques.

Le long de la route empruntée par Sangmer pour retourner chez lui, les derniers des mondes anciens connurent l’apocalypse. Les soixante soleils des Shens furent avalés par le Chaos, destin que les Shens semblèrent accepter de bonne grâce.

 

Les Princes des Cités prirent un risque en accueillant Polybiblios chez eux. Il est vrai qu’ils avaient perdu tout espoir à force de voir les soleils se faire avaler et transformer un à un. Ils espéraient que Polybiblios, avec son savoir shen, les aiderait à tenir le Chaos à distance. De fait, dès son retour, il conçut la suspension qui allait protéger le Soleil et ses planètes.

Les Shens lui avaient révélé nombre de leurs secrets.

Les survivants de l’humanité lui devaient non seulement la vie, mais également de ne pas avoir perdu leur santé mentale. Cependant, aucun homme ne pouvait appréhender les limites de son invention. Qu’avait-il donc réellement appris de l’autre coté du ciel mourant… ?

La suspension bloqua le désordre du Typhon, mais uniquement dans une sphère aplatie qui s’étirait jusqu’à la boule de pierre et de glace grise et agonisante qui avait été Neptune. Au-delà, la lumière s’arrêtait et la matière se dissolvait comme du sang dans de l’eau.

La Terre, sphère de scories froides, devait, par la force des choses, se suffire à elle-même. Les années-lumière perdues ne seraient jamais récupérées. Ainsi cessa la domination des êtres intelligents sur le cosmos.

D’aucuns parlèrent d’un dernier âge d’or : l’arrogance de la vie enfin tempérée par l’incompréhensible.

À peine quelques années plus tard, le Chaos enfonça la suspension, avala le soleil et les autres mondes, et menaça les douze dernières cités de la Terre. Le dispositif était réduit à une peau de chagrin, très affaibli, presque détruit, ce qui n’empêcha pas les Guerres de masse de se poursuivre. Les Princes des Cités – tous des Eidolons noötiques – imposèrent la conversion à toutes les cités sauf une. Ainsi, ceux qui n’étaient pas d’accord avec leurs plans s’enfuirent et traversèrent mille cinq cents kilomètres de désert jusqu’à Nataraja.

Ni l’Histoire ni les légendes ne rendaient correctement compte de l’âge qui s’ensuivit. Toutefois, certains faits étaient communément acceptés, même si la séquence des événements restait floue :

À part les Soigneurs et les Modeleurs – les ingénieurs et les classes subalternes de la Kalpa –, presque tout fut converti en masse noötique, plus pratique, fiable et puissante. Polybiblios, lui, resta primordial jusqu’à ce que, pour mieux le comprendre et le contrôler, les Princes des Cités l’obligent à se convertir aussi… faisant de lui un Grand Eidolon comme eux. De leur point de vue, c’était un honneur considérable. En contrepartie, ils jurèrent de ne pas se mêler de ses recherches bizarres et inspirées par les Shens. Cependant, la conversion ne rendit pas Polybiblios plus accommodant ou plus sensible à leurs inquiétudes. Au contraire, il devint encore plus distant, se terra chez lui, n’acceptant plus de parler qu’à Ishanaxade par le biais des angelins et des épitomés qui faisaient partie de son Eidolon.

Il s’installa dans la Tour, qui culminait à cent kilomètres au-dessus du premier bion de la Kalpa, et continua à travailler.

Quelque temps plus tard, on commença à l’appeler le Bibliothécaire.

 

Le Bibliothécaire décida bientôt la création d’une nouvelle classe subalterne de citoyens constitués de matière primordiale, lubie aux implications à la fois philosophiques et personnelles. Les Princes des Cités contrôlaient l’ensemble des réserves terriennes de cet ancien matériau : les seules de l’univers tout entier. Habituellement, ils n’utilisaient leur trésor qu’avec parcimonie, notamment lorsqu’ils avaient besoin de regarnir les rangs des Soigneurs et des Modeleurs qui les servaient, ou pour des échanges rituels entre Eidolons. Et pourtant, le Bibliothécaire les convainquit de lui en allouer des quantités beaucoup plus importantes.

Sans donner d’explication, lui et sa fille commencèrent à fabriquer leurs premiers prototypes d’anciens humains. Les histoires des premiers temps de l’Éclat ayant été perdues depuis longtemps, leur conception fut fondée sur des conjectures. Les données parcellaires qui subsistaient sur cette époque suggéraient que les premiers humains ne pouvaient survivre qu’entourés de bestioles volantes et bondissantes ; insectes et arthropodes furent donc créés et intégrés au projet.

Ishanaxade supervisa l’ouverture des niveaux inférieurs du premier bion de la Kalpa et le repositionnement des fondations qui séparaient les anciens canaux, créant ainsi trois îles nouvelles. Lorsque les quartiers furent terminés, et que le paysage primitif, quoique étrangement beau, fut aménagé – le tout surplombé par un ciel artificiel qui divisait le temps en deux périodes distinctes, l’une claire, l’autre sombre, appelées « veillée » et « sommeil » –, un stock de matière primordiale fut retiré des réserves des Princes des Cités. Ainsi, les premiers spécimens de créatures de l’ancienne lignée commencèrent leur vie cachée.

Toutefois, le projet du Bibliothécaire fut interrompu.

Le Chaos avançait. Dix des dernières cités de la Terre furent consumées, transformées, manipulées et torturées. Leurs citoyens continuaient à hanter le vaste désert déformé, parodies ambulantes, jouets entre les mains du Typhon… monstres dépassant l’imagination des Eidolons eux-mêmes.

Seules la Kalpa et Nataraja survécurent, mais les communications entre les deux furent coupées.

L’Astyanax de la Kalpa, le dernier Prince, perdit ce qui lui restait de foi dans leur soi-disant sauveur. Ishanaxade fut exilée – ou quitta la Kalpa pour Nataraja –, même si personne ne savait trop pourquoi. À dire vrai, on ignorait si Nataraja avait été épargnée et, si oui, pourquoi.

Depuis la Tour, Sangmer étudia la nouvelle configuration de la Terre et entreprit de traverser le Chaos bouillonnant pour retrouver son épouse. On ne le revit plus jamais.

Un conflit terrible éclata. Certains crurent que le Bibliothécaire voulait châtier l’Astyanax d’avoir banni sa fille. Il diminua la puissance de la suspension, et quatre des sept bions de la Kalpa furent mangés par le Typhon. En retour, l’Astyanax stérilisa les Gradins et anéantit la première colonie de créatures… celle créée et développée par Ishanaxade.

La Tour fut presque détruite – cassée en deux – et, si le Bibliothécaire survécut, il devint clair que les derniers humains, quelle que soit leur forme ou leur construction, quelle que soit leur philosophie ou leur ambition, n’étaient plus en mesure de se battre.

Sous la pression extraordinaire des autres Eidolons, l’Astyanax céda.

Joignant ses forces aux plus fins esprits de la Kalpa, le Bibliothécaire utilisa plus de la moitié des ressources de la cité et construisit un anneau concentré et plus petit de générateurs de réalité : les Défenseurs. Ainsi, il parvint à repousser le Typhon une dernière fois.

Il l’exila au-delà des frontières du réel.

De Nataraja et de ses rebelles, on supposa qu’ils n’étaient plus.

Après le pèlerinage final et la disparition de Sangmer, l’Astyanax interdit à quiconque de partir. Les fenêtres extérieures des trois derniers bions furent scellées ; seules subsistèrent celles de la Tour brisée, domaine réservé du plus grand, du plus curieux des Eidolons.

Le travail reprit dans les Gradins, avec la conception et la création d’une nouvelle portée de créatures de l’ancienne lignée.

Un jeune Soigneur ordinaire appelé Ghentun fut convoqué à Malregard, interrogé par les angelins et choisi pour être le Conservateur des Gradins. Ce fut aussi simple que cela ; il n’y eut pas de concours, pas d’appel à candidatures…

Comme nombre de jeunes Soigneurs de cette zone, Ghentun s’était converti en masse noötique, car abandonner son héritage génétique était à la mode. Toutefois, lorsqu’il fut nommé Conservateur, les épitomés du Bibliothécaire l’obligèrent à se reconvertir, à redevenir primordial.

Quelque chose se déroula mal durant le processus. Le Conservateur garda ses connaissances en Histoire, mais perdit ses souvenirs personnels. Le vieux Ghentun disparut, laissant la place à un nouvel être. Avait-il des regrets ? Les simples Soigneurs ne remettaient pas en question les décisions des Grands Eidolons.

Parfois, lorsque Ghentun regardait ses créatures dormir, elles tremblaient comme si elles entraient en résonance, comme si elles entendaient des cris d’agonie surgis d’un passé lointain et douloureux, comme si elles sentaient la présence de leurs congénères faits du même matériau ancien, chair de leur chair, sur leur ligne de vie sectionnée, terminée par la gueule béante et titanesque du Typhon.

Ils avaient été créés pour cela. « Des canaris dans une mine de charbon. »

Ainsi, les Gradins n’étaient pas le jouet d’un Grand Eidolon sénile, mais bien la dernière chance de sauver leur minuscule morceau d’univers.

 

Une fois son inspection terminée, Ghentun prit un ascenseur sécurisé et monta dans le mur externe jusqu’à la source de ses créatures : la crèche, située très haut au-dessus des étages habités.

Devant le cercle extérieur de la crèche et les draperies fluides qui absorbaient toute lumière, le Conservateur montra son respect. Derrière le rideau se trouvaient les nurseries rotatives de la Modeleuse, où des centaines de créatures nouvellement créées dormaient en rangs et attendaient de naître. Ou pas… Les rideaux s’écartèrent et une lumière dorée se répandit, réchauffant la peau du Conservateur. Il avait toujours aimé l’endroit où ses créatures étaient formées, nourries et instruites de façon subliminale avant d’être préparées et déposées dans les Gradins par les Ombres : des gardiens gris-brun, effilés, profilés et rapides.

Plusieurs de ces Ombres accueillirent Ghentun sous la coiffe blafarde de la Modeleuse. Deux d’entre eux l’escortèrent – sans escorte, il aurait pu être victime de champs et de pressions imprévisibles – et le précédèrent dans les niveaux supérieurs, entre des rideaux de gel vert et des cylindres inquiétants de glace primordiale, jusqu’à la brume chatoyante du vitréion, le sanctuaire interne de la Modeleuse, où les machines étaient interdites.

Là, une lumière dorée encore plus intense éclairait des coussinets de naissance placés dans des sphères contrarotatives. Des unités de façonnage qui ressemblaient à des buissons frénétiques – des tourbillons de branches et de vecteurs argentés – entouraient une dizaine de petits en cours de formation. Leurs mouvements étaient si rapides que Ghentun n’arrivait pas à les suivre, même avec sa fréquence la plus élevée.

La dernière Modeleuse de la Kalpa, la maîtresse de cérémonie de la crèche, se tenait sur ses pattes près d’un coussinet de naissance surélevé. À son approche, sa tête sortit d’entre ses nombreux bras manipulateurs noirs ; Modeleurs et Soigneurs n’avaient plus la même apparence depuis bien longtemps. Elle fixa, puis termina d’implanter une première couche de propriétés mentales dans une chose couverte de fourrure blanche. Les grands yeux de la créature étaient fermés, mais ses lèvres bougeaient comme si elle était sur le point de se réveiller.

La Modeleuse reposa son matériel et accompagna Ghentun dans l’annexe des prototypes.

— Nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus, commença-t-elle tandis qu’ils glissaient entre des rangées de spécimens historiques datant de la deuxième vague de colonisation des Gradins : des souvenirs désagréables d’échecs nombreux et de projets avortés.

Ghentun lui-même avait commis un nombre significatif d’erreurs au début de sa carrière.

Il transféra ses notes à la Modeleuse, qui les lut avec plusieurs de ses très nombreux yeux.

— Pas d’instructions. Pas d’ordres, se plaignit-elle. Dois-je prendre des initiatives et effectuer des améliorations de dernière minute ? Nous avons déjà donné à certains la capacité de se reproduire hors de mon contrôle. C’est suffisamment dangereux comme cela, même si cela améliore leur sensibilité. Augmentons-la encore, et ils trembleront au moindre bruit et mourront de stress. Rendons-les plus intelligents, et ils mourront d’ennui. (Elle émit un vrombissement irrité.) On ne peut pas dire que ces livres sont terriblement amusants.

Ghentun effleura le livre qu’il transportait dans son sac.

— Non, ils sont suffisamment intelligents, dit-il. Le Bibliothécaire souhaite examiner un spécimen exceptionnel. (Il projeta l’image d’une jeune créature mâle débordante d’agressivité.) J’ai remarqué celui-ci à l’occasion d’un combat dans les champs en jachère. Il s’est tourné dans ma direction, comme s’il était capable de me voir.

La Modeleuse attrapa l’image avec deux de ses bras, la retourna et la jeta. La projection s’envola et disparut dans le néant. Elle avait une aversion pour les images.

— Il s’appelle Jebrassy. Je lui ai fait le sang un peu chaud. C’est un rebelle ; il ne tardera pas à s’enfuir avec un de vos groupes suicidaires.

— Il peut se reproduire ?

— Il est apte à procréer, mais je doute qu’une femelle féconde veuille de lui. Il est très instable. Quelque chose s’est passé en lui dès le coussinet de naissance. Cela l’a changé. Il rêve, j’en suis certaine. Les créatures appellent cela « errer » : le regard vide, aveugle, le sommeil troublé. Les autres le craignent. (La Modeleuse tourna ses trois yeux centraux sur Ghentun d’un air accusateur, amusé et impatient.) Et vous, mon ami Ghentun, errez-vous ?

Ghentun ne jugea pas utile de répondre à cette idiotie.

— Il me semble parfait, reprit-il. Je vais consulter Grayne et arranger quelque chose…

— Grayne ? Elle est toujours des nôtres ? Ah, quelle belle création ! Une de mes meilleures. Rien ne l’arrête, décidément.

— Elle est devenue sama ; elle guide les marcheurs.

— Elle était tellement bien dans sa jeunesse. Quelle honte d’envoyer nos beaux enfants dans le Chaos. Je n’ai jamais été fière de cette partie de mon travail, Conservateur.

— C’est pourtant à cela que vous servez, Modeleuse.

Force lui était de l’admettre.

— Le Bibliothécaire devrait être satisfait. Les créatures vibrent au moindre tremblement des lignes. Pendant que les Eidolons passent leur éternité à s’amuser et à refuser de voir l’évidence, les créatures sont devenues extrêmement sensibles à quelque chose que je suis moi-même incapable de percevoir. Peut-être est-ce le passé qui se tord de douleur, qui agonise ? Ai-je raison, Conservateur ?

Ghentun ne répondit pas non plus à cette question. Ils savaient tous les deux que c’était en effet probable, d’où la création des Gradins.

— Et pourtant, veillée après veillée, les générateurs faiblissent, reprit-elle. Le Chaos est impatient. Dans combien de temps croyez-vous que le Bibliothécaire acceptera de vous écouter ?

— Bientôt.

— On ne peut pas prévoir les réactions des Eidolons. J’ai compris cela il y a bien longtemps. Si le Bibliothécaire n’est toujours pas content…

Son bras jaillit comme l’éclair et attrapa le livre dans le sac de Ghentun. Ses doigts étaient si puissants qu’ils menaçaient de le réduire en poussière.

— Ah, un petit trésor archaïque ! Vous avez volé cela à votre sama, l’accusat-elle.

— À son prédécesseur, en fait.

— Intéressant ?

— C’est imprimé dans les caractères employés par nos créatures. Le texte change chaque fois que je le lis, aussi n’est-il sans doute pas fait pour nos yeux.

— Dans ce cas, pourquoi vous fatiguer ?

— Par curiosité. Et peut-être parce que je me sens coupable, répondit Ghentun avec détachement et une pointe de gêne. N’êtes-vous pas curieuse de savoir ce que le Bibliothécaire leur réserve ?

La Modeleuse renifla avec mépris.

— Nous pourrions recommencer. Il est toujours possible d’apporter des améliorations. (Elle semblait peu encline à interrompre son travail courant, quand bien même elle comprenait et ressentait la nécessité d’une intervention rapide.) Combien de temps avons-nous devant nous ? Quelques milliers d’années ?

— J’en doute.

Il lui fit signe de retourner le livre. Les doigts presque enfoncés dans la reliure, elle s’exécuta à contrecœur. Lentement, la couverture se remit de ce contact.

— C’est notre dernière récolte, ajouta-t-il. Ce sera cette génération ou rien.

La cité à la fin des temps
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