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Daniel avait besoin de repos. Marcher dans le brouillard et la confusion l’avait vidé de son énergie. Il ne savait plus où il allait, ignorait s’il progressait et n’avait pas la moindre idée de sa position dans la géographie bouleversée de la ville. Il avait le sentiment terrible de tourner en rond.

Il s’arrêta devant une maison à moitié effondrée et de guingois, poussa ce qui restait du portail et s’assit sur un banc en pierre dans un endroit qui n’avait plus grand-chose d’un jardin. Les plantes étaient des choses tristes aux contours marron. Avant de mourir, les fleurs s’étaient déchaînées et avaient poussé en grappes cancéreuses désormais flétries.

Le corps de Daniel était victime d’un incendie intérieur, dont il supposait qu’il était la conséquence de l’adaptation permanente de sa biochimie aux modifications des constantes physiques. Bientôt, il cesserait d’être… en tant qu’être humain, en tout cas. Il se voyait déjà marcher d’un pas lourd et croître en dépit du bon sens, se multipliant sans possibilité de vie, comme les fleurs…

Elles tombèrent en poussière dans sa main.

Il avait perdu la trace de la lueur lointaine. La lumière couleur d’étain refit son apparition, remplaçant les ténèbres terre de Sienne. Des formes dentelées – qui n’étaient pas des montagnes – se découpaient sur la toile de fond grise. Il ignorait ce qu’elles étaient.

Pis…

Il sentit un courant d’air et leva les yeux. Max, plus bruit et ombre qu’être matériel, semblait progresser avec difficulté dans un décor trop étroit pour lui. Lui aussi leva les yeux : une sensation de fraîcheur venait de leur picoter le crâne et le cou.

La voix fine de l’homme aux allures de gnome transperça l’air glacial.

— Quelque chose mange la lune.

La chose qui avait barbouillé les étoiles pâles et froissé le vide n’avait pas touché à la lune. Mais, à présent, le croissant ivoire était en train de virer au rouge sang, comme un bouchon enfoncé dans la chair du ciel. À l’est, un anneau de feu se levait… ou plutôt grossissait, puisqu’il n’y avait aucun mouvement dans cette direction.

À l’intérieur de l’anneau : des ténèbres malades et troubles.

Les yeux de Daniel le piquaient comme s’ils avaient été frôlés par des orties.

La lune ensanglantée tremblota avant de traverser la voûte céleste telle une boule d’argent fondue et incandescente. Elle grossit, puis se mêla aux flammes bouillonnantes de l’arc sinistre, jusqu’à disparaître complètement.

— Où que nous regardions, le Gouffre avale le monde. (Max s’affaissa sur le banc de pierre à côté de Daniel. Il voulut déglutir, mais faillit s’étouffer.) Elle nous tient dans sa main ! Dieu nous vienne en aide !

Le jardin se refroidit, tandis que l’arc de feu et son cœur noir enflaient.

— Je suis déjà venu ici, dit Daniel. J’ai dû quitter ma peau pour m’enfuir.

Max cracha et s’essuya la bouche.

Daniel fourra la main dans sa poche pour sentir les boîtes.

— Nous pouvons le battre ! Remuez-vous !

Il se leva, agrippa Max par le bras et le força à se redresser. L’atmosphère s’était dégagée. Dans les ombres de plus en plus profondes, visibles malgré la lumière vive de l’arc de feu, coincée entre les masses énormes de deux stades – murs d’acier et de béton, toits et arches desséchés comme les fleurs du jardin –, Daniel vit de nouveau la lueur bleutée, pas plus grosse qu’une luciole dans le désert… Il la désigna du doigt. Max la repéra, releva le menton et s’essuya de nouveau le visage avec son mouchoir crasseux.

Ils se remirent en route.