La Tour brisée
Une ombre chaude plana au-dessus de Jebrassy. Le jeune mâle était couché dans une petite pièce qui ressemblait beaucoup à la niche de ses anciens patrons. Il se sentit scruté, pesé, mesuré, mais d’une façon qu’il ne comprenait pas, profonde et fondamentale.
L’examen ne fut pas douloureux, mais cela ne lui plaisait pas pour autant.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
Aucune réponse. L’œil qui l’étudiait changea de point de vue, se déplaça à l’intérieur de son corps et le trouva. Son cerveau, son esprit.
— Que faites-vous ?
L’ombre chaude exprima sa satisfaction. Résonna alors une voix, si agréable et si familière, qu’il était sûr de l’avoir déjà entendue… mais il était incapable de dire à qui elle appartenait.
— Savez-vous ce qui vous est arrivé ?
— J’ai été conduit à la Tour brisée.
— Savez-vous pourquoi ?
— Nous sommes trop faibles et trop stupides pour qu’on nous révèle ce genre de chose.
La voix se fit plus immédiate.
— Au contraire, vous vous en êtes bien sorti. Vous êtes probablement la plus forte des créatures de la Kalpa. La plus importante, aussi, maintenant que ma mission est presque accomplie.
— Vous êtes le Bibliothécaire ?
— Je suis une partie du Bibliothécaire, la partie qui a réussi à ne pas perdre totalement l’esprit durant cette moitié d’éternité. Vous avez entendu parler des Eidolons ?
— Non.
— Cela n’a pas d’importance. Le Bibliothécaire est devenu un Grand Eidolon, ce qui veut dire qu’il ne peut plus comprendre ce que c’est que d’être petit et insignifiant. Il a confié cette tâche à quelques-unes de ses nombreuses personnalités appelées « épitomés ». Je suis un épitomé.
— Vous n’êtes pas froid comme ces choses bleues.
— Je suis plus proche du cœur du Bibliothécaire. Ce que vous me direz et me montrerez, le Bibliothécaire l’entendra et le verra immédiatement.
— J’aimerais vous voir.
— Bientôt. Comprenez cependant que tout ce que vous verrez ne sera qu’une illusion. Ainsi, en dépit de vos poings fermés, vous ne pourriez pas m’atteindre. Admettez que frapper une ombre n’apporte que peu de satisfaction…
Jebrassy se détendit et desserra les poings.
— Que va-t-il se passer, maintenant ?
— Le moment venu, vous serez libéré afin d’accomplir votre devoir. Pour l’instant, cependant, nous avons besoin de comprendre ce que vous êtes devenu. Vous résonnez comme une cloche, jeune créature, une cloche que personne n’a sonnée dans notre temps. Vos vibrations sont importantes ; toutefois, il semblerait que vous ne soyez qu’à moitié présent devant moi. Votre autre moitié devra se manifester. Les événements l’y aideront. D’ici là, nous ferons connaissance et je vous enseignerai des choses utiles.
— Où est Tiadba ? Est-elle ici ou ailleurs ?
— Je pense que vous connaissez déjà la réponse à vos questions. Elle n’est pas ici, dans la Tour, et elle n’est plus dans les Gradins. Où croyez-vous qu’elle soit ?
Jebrassy détestait qu’on s’amuse à ses dépens, mais le fait était qu’il savait .
— Elle est dans le canal, avec les autres. Les marcheurs. Il faut que je la rejoigne.
— Vous ne lui seriez d’aucune aide. Comme je l’ai dit, nous devons attendre que les événements nous rattrapent. Vous devez atteindre votre plein potentiel, jeune créature. Alors, vous serez prêt à rejoindre vos amis.