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— Bon, dit Sans-Nom, écoute-moi, maintenant. Tu vois bien que tu es battu d’avance. Il n’y a pas de quoi avoir honte, je suis le nouveau paradigme. Nul ne peut s’opposer à moi. Je suis le signe visible de ce qui va arriver.
— Alors tuez-moi, qu’on en finisse.
— Non, j’ai une meilleure idée. Je veux te laisser la vie sauve, et je veux que tu m’accompagnes dans le nouvel univers que je vais créer.
— Pourquoi avez-vous besoin de moi ?
— Que les choses soient bien claires : je n’ai pas besoin de toi. Simplement, une fois que je serai établi, j’aimerais avoir quelqu’un à qui parler. Quelqu’un avec qui évoquer le bon vieux temps, c’est-à-dire aujourd’hui. Quelqu’un que je n’aurai pas créé. J’ai peur que ça soit très ennuyeux, au bout d’un moment, de ne pouvoir parler qu’à des émanations de soi-même. J’imagine que c’est d’ailleurs pour ça que votre Dieu a mis les voiles – Il en a eu marre de parler aux nuages, qui ne connaissent rien au bon vieux temps. C’est vrai, Il n’avait que Sans-Nom qui ne soit pas, d’une manière ou d’une autre, à Son image. C’est usant, à force. Alors moi, je ne vais pas faire la même erreur. Toi, tu représentes un autre point de vue, et ça peut me servir. Donc j’aimerais que tu restes avec moi.
Azzie hésitait. C’était une occasion en or, évidemment. Mais tout de même…
— Qu’est-ce que tu cogites, là ? Je peux te battre, t’annihiler d’un geste, or je te propose de changer de camp et de rester à mes côtés. Toi, et toi seul, Azzie, survivras à la destruction de l’univers. Nous les balaierons tous – dieux, diables, humains, nature, destin, hasard, la totale, quoi ! Et nous recommencerons avec de nouveaux personnages, plus sympathiques. Tu peux m’aider à gérer tout ça, tu participeras à la création du nouvel univers ! Tu seras un de ses pères fondateurs ! C’est quand même alléchant, comme proposition, non ?
— Mais tous les autres…
— Je vais les tuer. Bien obligé, hein… Et n’essaie pas de me faire changer d’avis.
— Je connais un petit garçon qui s’appelle Quentin…
— Il vivra dans ta mémoire.
— Une sorcière, aussi, qui s’appelle Ylith…
— Tu n’as pas gardé une boucle de ses cheveux ?
— Vous ne pouvez pas la garder, elle aussi ? Elle et le petit garçon ? Tuez tous les autres, mais ces deux-là…
— Évidemment que je pourrais les garder. Je fais ce qu’il me plaît. Mais pas question. Je te garde toi, Azzie, un point, c’est tout. C’est une sorte de punition, vois-tu.
Azzie regarda Sans-Nom. Il avait le sentiment que sous la nouvelle direction cosmique, les choses n’allaient pas beaucoup changer. Alors à quoi bon ? Cette fois, le temps était venu de se battre et de mourir.
— Non, merci, soupira-t-il.