3

Babriel rentra précipitamment au Paradis et se rendit aussitôt chez Michel. Il entra en trombe dans le salon, une pièce agréable et claire dans laquelle l’archange, installé à une table en bois de rose, loupe dans une main, pince à épiler dans l’autre, était penché sur sa collection de timbres, à la lumière d’une lampe Tiffany. L’apparition soudaine de l’ange blond provoqua une bourrasque, les petits carrés dentelés s’envolèrent joyeusement dans les airs. Babriel eut tout juste le temps de rattraper un triangulaire du Cap avant qu’il ne virevolte par la fenêtre. Il posa un presse-papiers dessus pour plus de sûreté.

— Oups… Je suis désolé, vraiment, murmura Babriel.

— Si tu étais un peu moins impétueux, aussi… grommela Michel. Tu n’as pas idée de la difficulté que j’ai à faire venir ces spécimens particulièrement rares de la Terre sans qu’on me pose trop de questions. Je suppose que tes recherches ont été fructueuses ?

Babriel raconta le manuscrit de l’Arétin, son titre, sa première phrase, ajouta que le poète fêtait une nouvelle commande et que, à voir les agapes en cours, ce devait être une commande bien payée.

— Les Sept Chandeliers d’or, répéta Michel, pensif. Ça ne me dit rien. Mais viens, on va consulter l’ordinateur que le Département Paradisiaque des Hérésies Tentatrices a récemment mis en place.

Il fit signe à Babriel de le suivre jusqu’à son bureau où, à côté des classeurs gothiques et du bureau roman, se trouvait un terminal d’ordinateur de forme cubique typique du style appelé moderne. L’archange s’installa devant l’écran, pinça des bésicles sur le bout de son nez, et tapa son code d’accès. Très vite, des données défilèrent à toute vitesse, de bas en haut, en vert et noir. Babriel plissa les yeux, mais tout allait trop vite pour qu’il puisse lire quoi que ce fût. Michel, lui, semblait n’avoir aucune difficulté avec la lecture rapide et bientôt il opina du bonnet et leva les yeux.

Le bien-fondé de l’existence d’un réseau informatique au Paradis n’avait pas été sans soulever certaines objections. Le principal argument « pour » était qu’il s’agissait ni plus ni moins d’un prolongement de la plume et de la tablette de pierre, dont l’usage consacré pour la description des lieux spirituels avait donné naissance à l’idée d’information. Au fond, l’ordinateur n’était pas si différent des premières techniques d’écriture, et il présentait l’avantage de prendre peu de place et de stocker beaucoup de données, contrairement aux tablettes, qui n’étaient pas d’une maniabilité idéale et avaient vite fait de vous encombrer le plancher – qu’il fallait par ailleurs renforcer si l’on ne voulait point qu’il cédât sous le poids des mots ! Même le parchemin, bien que léger par rapport aux tablettes, posait certains problèmes – celui de sa conservation n’étant pas le moindre.

— Alors, qu’est-ce qu’il dit, l’ordinateur ? s’enquit Babriel.

— Il semblerait que dans une vieille légende gnostique, Satan aurait donné à Adam sept chandeliers d’or qui devaient lui permettre de regagner le Jardin d’Éden.

— Ah bon ? Et il y est arrivé ?

— Mais bien sûr que non ! Tu ne crois pas que tu aurais été au courant, s’il avait réintégré ses pénates originels ? Ne me dis pas que tu n’as pas encore pigé que toute l’histoire de l’humanité est basée sur le fait qu’Adam n’est jamais retourné dans le Jardin d’Éden et que, depuis, lui et tous les autres hommes continuent d’essayer.

— Oh, si, si… bien sûr. Je disais ça sans réfléchir.

— Si l’Ennemi est ailé repêcher une histoire qui remonte aux premiers jours de la Création, à l’époque où des règles de base ont été établies pour organiser les relations entre hommes et esprits, c’est très, très intéressant pour nous. Sept chandeliers d’or !

— Ils ont vraiment existé ?

— Probablement que non.

— Alors on peut supposer qu’ils n’existent pas aujourd’hui, et donc ne peuvent pas nous faire de mal.

— Pas si vite. Les mythes, c’est complications et compagnie. Si ces chandeliers existent et se trouvent entre de mauvaises mains, ils peuvent être très dangereux. Le risque est tel qu’à mon avis il vaut mieux faire comme s’ils existaient jusqu’à ce qu’on prouve le contraire. Et même dans ce cas-là, il nous faudra rester très prudents.

— Oui, mais si Azzie a les chandeliers, qu’est-ce qu’il va en faire ?

Michel secoua la tête.

— Ça, j’en sais fichtre rien encore. Mais pas pour longtemps. Je vais m’occuper personnellement de cette affaire.

— Et moi ? Je fais quoi ? Je retourne épier Azzie ?

— Par exemple. Je vois que tu commences à suivre. Babriel repartit séance tenante pour Venise. Mais après enquête préliminaire, puis enquête plus approfondie, il dut se rendre à l’évidence : Azzie avait quitté la ville.

Le démon de la farce
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