5
Oliver approcha de la tente pourpre qui lui avait été réservée. À l’intérieur, assis sur un tabouret pliant et occupé à se faire les ongles à l’aide d’une petite lime en argent, se trouvait Azzie.
— Tiens ! Salut, chef ! s’écria Oliver.
— Bienvenue à votre commandement, maréchal. Êtes-vous satisfait ?
— C’est merveilleux. Vous m’avez dégoté une troupe formidable. J’ai vu quelques soldats en arrivant. Des durs de durs, pas vrai ? Celui qui s’avisera de me barrer la route le regrettera amèrement, désormais ! Au fait, je dois me battre contre quelqu’un en particulier ?
— Bien sûr. Lorsque vous irez vers le sud, ce que j’aimerais que vous fassiez dès la fin de cet entretien, vous tomberez nez à nez avec l’avant-garde des Fous Furieux de la Mort.
— Ouh là ! Ça a l’air d’être des durs, ceux-là aussi. Vous pensez que c’est bon, pour moi, de commencer par des costauds ?
— Ils ne sont pas costauds du tout. Je leur ai donné ce nom parce que ça fait bien dans les journaux. En fait, il s’agit d’un groupe de paysans affranchis, des gens de la région à qui on a retiré leurs terres parce qu’ils ne pouvaient pas payer d’exorbitants impôts. Ils sont armés de haches et de faux, n’ont pas d’armures, ni d’arcs, ni même de lances clignes de ce nom. Et ils ne sont que deux cents face à vos dix mille hommes. De plus, non seulement ils sont extrêmement mal préparés au combat, mais ils se trahiront les uns les autres et fuiront dès les premiers affrontements. Vous pouvez me croire, c’est du garanti sur facture.
— Ça me paraît pas mal, dit Oliver. Et ensuite ?
— Ensuite vous marcherez sur Venise. Nous aurons préparé la presse.
— La presse ? Mais je n’ai rien fait qui mérite la torture !
— Vous vous méprenez. La presse, c’est le nom que l’on donne à tous ceux qui font connaître certaines choses à d’autres gens : peintres, poètes, écrivains, ce genre de personnes, vous voyez ?
— Jamais entendu parler.
— Vous feriez mieux de vous tenir un peu au courant si vous tenez à devenir célèbre pour vos victoires. Comment voulez-vous devenir légendaire si les écrivains ne relatent pas vos exploits ?
— Je pensais que ça se faisait tout seul, comme ça.
— Pas du tout. J’ai engagé les meilleurs poètes et écrivains de ce siècle, le divin Arétin en tête, pour chanter vos louanges. Le Titien nous fera une grande affiche de propagande dépeignant la victoire qui vous plaira. Je demanderai à un compositeur d’écrire un ballet travesti sur cette victoire, quelle qu’elle soit.
Azzie se leva et se dirigea vers la sortie. Dehors, il tombait quelques gouttes, et de gros nuages noirs avaient surgi de derrière les Alpes.
— On dirait qu’il va y avoir du gros temps, dit-il. Mais ça ne durera pas, j’en suis sûr, et vous et vos hommes pourrez bientôt vous mettre en route pour Venise. Pour ce qui est de communiquer avec eux, de la langue à utiliser, etc., voyez avec Globus. Il fera en sorte que tout le monde comprenne vos ordres.
— Très bien. Justement, je me demandais comment procéder, dit Oliver, qui ne se demandait rien du tout mais désirait montrer qu’il suivait.
— Bonne chance. Je pense que nous nous croiserons à Venise, ici ou là.