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Allongés sur leurs lits jumeaux, dans leur chambre, Puss et Quentin contemplaient les ombres qui traçaient des hachures sur le plafond.
— Tu crois qu’Antonio est un vrai démon ? demanda Quentin, qui était assez jeune et avait encore un peu de mal à faire la distinction entre le réel et l’affabulation.
— Je crois que oui, répondit Puss.
Elle réfléchissait depuis un assez long moment à ce qu’elle désirait le plus au monde. La première chose qui lui était venue à l’esprit, c’étaient des cheveux blonds, comme ceux de son frère. Soyeux, et bouclés, et longs, d’un blond paille, et pas de ce jaune cuivré qu’affectaient certaines filles. Mais était-ce là une chose à souhaiter plus que toute autre ? Puss avait vaguement honte d’un souhait aussi trivial et, contrairement à son habitude, écouta attentivement Quentin lorsqu’il lui expliqua ce qu’il demanderait au démon s’il allait lui proposer ses services.
— D’abord, je voudrais un cheval à moi tout seul, annonça-t-il d’un ton décidé. Et une épée à moi, aussi. C’est ridicule de la part de père de dire que me faire faire une épée, c’est jeter l’argent par les fenêtres parce que, d’ici un ou deux ans, elle sera trop petite. Je vois pas à quoi ça sert d’être riche si on peut même pas acheter des choses qui seront trop petites un jour.
— Très juste, remarqua Puss. Une épée, alors. Et quoi d’autre ?
— Un royaume, je crois que tout bien réfléchi, ça me dit rien, continua Quentin, pensif. Il faudrait toujours être sur place, s’en occuper… Moi je pense que le roi Arthur, même si c’était de Camelot qu’il s’occupait, il était pas vraiment heureux, tu crois pas ?
— J’en doute.
— Et puis j’aimerais partir à la quête de plein de choses.
— Comme Lancelot ? Il n’était pas très heureux non plus.
— Non, mais ça, c’est parce qu’il était idiot. Tomber amoureux de la reine alors qu’il avait tant d’autres dames à sa disposition, pfff… Et puis pourquoi choisir, d’abord ? Moi je préférerais être comme Gauvain, voyager, avoir une femme à chaque étape, être en mauvaise posture, gagner des trésors, les perdre, tout ça. Il avait le plaisir de conquérir les choses sans devoir s’en occuper après.
— Un peu comme s’il avait tous les jouets qu’il voulait, sans avoir à les ranger ?
— Exactement.
— Très pratique. Et qu’est-ce que tu voudrais d’autre ?
— Un animal de compagnie magique, répondit sans hésitation Quentin. Un lion qui m’écouterait, moi et personne d’autre, et tuerait les gens que j’aime pas.
— C’est un peu exagéré, ça, tu ne crois pas ?
— Enfin, il tuerait ceux que j’aime pas si je le laissais faire, mais, en vrai, je le laisserais pas. Et s’ils m’énervaient trop, je les tuerais moi-même, en duel, et puis je serais grièvement blessé, et mère me soignerait.
— Les mères ne soignent pas les blessures des héros, remarqua Puss.
— Dans mes aventures, si. C’est moi qui décide, alors.
— Dommage que tu sois trop jeune pour faire un pacte avec un démon.
— Pas si sûr, dit Quentin en s’asseyant sur son lit, très sérieux. J’ai bien envie d’aller le voir tout de suite.
— Quentin ! Tu n’y penses pas ! s’insurgea Puss, pensant que si Quentin insistait, il serait de son devoir, en tant que sœur aînée, d’y aller avec lui, et peut-être de formuler un vœu elle-même, histoire de lui tenir compagnie.
Quentin se leva et entreprit de s’habiller. Son menton tremblait un peu sous l’effet de sa propre audace, mais le jeune garçon semblait résolu.
Au même moment, dans un coin de la pièce, il y eut un éclair de lumière suivi d’un nuage de fumée. Les deux enfants, effrayés, regagnèrent leurs lits. Lorsque la fumée se dissipa, une jolie jeune femme brune se tenait devant eux.
— Comment vous avez fait ça ? demanda Quentin. Vous faites partie du pèlerinage ?
— Je suis venue vendre mes œufs aux pèlerins, répondit la jeune femme. J’habite dans une ferme tout près d’ici et je viens d’arriver à l’auberge. Je m’appelle Ylith.
Les enfants se présentèrent l’un après l’autre. Et s’empressèrent de lui raconter ce qu’Antonio avait proposé aux pèlerins. D’après leur description, Ylith reconnut Azzie.
— Je veux aller faire un vœu moi aussi, dit enfin Quentin.
— Certainement pas, répondit fermement Ylith.
L’enfant sembla plus que soulagé, mais demanda néanmoins :
— Pourquoi ?
— Parce qu’un enfant bien élevé ne demande pas à un démon d’exaucer ses vœux.
— Mais les autres, ils demandent bien, eux, insista Puss. Ils vont en profiter, et pas nous.
— Vous vous apercevrez bien vite que non, dit Ylith. Certaines de ces personnes seront impliquées dans des histoires bien différentes de ce qu’on leur a promis.
— Comment vous le savez ? demanda Puss.
— Je le sais, c’est tout. Bien, maintenant, les enfants, il est temps de faire dodo. Je vais vous raconter une histoire, si vous voulez.