1
Michel était dans son bureau et se reposait dans le Modèle Original du Fauteuil Idéal de Platon – l’archétype de tous les fauteuils et, par définition, le plus confortable qui ait jamais été conçu. Il ne lui manquait qu’un cigare. Mais le tabac était un vice auquel il avait renoncé depuis longtemps, ce qui fait que, finalement, il ne lui manquait rien.
Le bien-être total est aussi difficile à éprouver pour un archange que pour un homme, et Michel n’aurait en aucun cas pris ce moment pour un dû. Il en profitait au maximum, sans pouvoir néanmoins s’empêcher de se demander combien de temps ce pur moment de béatitude allait durer.
On frappa à la porte.
Il eut aussitôt le sentiment que ce qui allait suivre ne lui plairait pas. Il envisagea de faire la sourde oreille, ou de dire : « Allez-vous-en », mais s’y refusa. Quand on est archange, il est certains plaisirs auxquels on renonce une fois le seuil du bureau franchi.
— Entrez, dit-il.
La porte s’ouvrit, un messager entra. Il était petit, c’était un enfant aux boucles blondes, vêtu d’une chemise de nuit, avec un paquet dans une main, et une poignée de charmes dans l’autre. Quentin prenait son rôle de messager de plus en plus au sérieux.
— J’ai un paquet pour l’archange Michel.
— C’est moi.
— Signez là.
Michel parapha le bon de livraison imprimé sur feuille d’or que lui tendait Quentin. Le jeune garçon le plia, le rangea et donna le paquet à l’archange. Il était assez lourd.
— Tu n’es pas un ange, n’est-ce pas ? demanda Michel.
— Non, monsieur.
— Tu es un petit homme, c’est ça ?
— Tout juste.
— Alors pourquoi travailles-tu pour une messagerie surnaturelle ?
— J’en sais rien, dit Quentin. Mais c’est super chouette. Ça sera tout ?
— Je crois que oui.
Quentin fit fonctionner son charme et disparut.
Michel se gratta la tête, puis regarda son paquet et en déchira le papier d’emballage gris. Une grosse brique en bronze apparut, sur un côté de laquelle était gravé quelque chose. Michel la tendit vers la lumière pour pouvoir déchiffrer et lut : « Michel ! Arrête immédiatement de fourrer ton nez dans la pièce du démon Azzie. Monte ta propre pièce si ça te chante, mais laisse celle d’Azzie tranquille. Bien amicalement, Ananké. »
Michel posa la brique, sa bonne humeur complètement à plat. Mais pour qui se prenait-elle, cette Ananké, à donner des ordres à un archange ? Il n’avait jamais vraiment accepté l’idée que la Nécessité, Ananké, gouverne le Bien et le Mal. Qui avait décidé une chose pareille ? Encore une histoire de prévisions foireuses. Si seulement Dieu était encore là… Lui seul pouvait arbitrer cette gabegie. Mais II était parti, et sans qu’on sache vraiment comment, cette Ananké avait pris la relève. Et maintenant, voilà qu’elle dictait sa conduite à Michel.
— Elle ne peut pas faire des lois contre moi comme ça, dit-il à voix haute. Elle est peut-être le Destin, mais elle n’est pas Dieu.
Et il décida qu’il allait s’occuper de tout ça.
Une petite vérification lui confirma qu’il avait plusieurs moyens d’agir à propos de la pièce d’Azzie. La retarder, simplement, allait peut-être suffire.