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— Un cheval de bataille ? Tu dis que mon épouse est partie sur un cheval de bataille ?

Lord Sforza avait la réputation d’avoir les neurones un peu empâtés, mais question chevaux, il s’y connaissait – et il comprenait ceux qui fuyaient avec eux, surtout sa femme.

Le thaumaturge de la cour reprit son récit au début.

— Oui, monseigneur. C’était un cheval comme jamais on n’en avait vu dans cette contrée. D’un blanc pur, fier, d’allure noble. Dame Cressilda l’a vu et, sans un instant d’hésitation, s’est mise en selle. Nous ignorons où elle est allée.

— Tu l’as vue de tes yeux ?

— De mes yeux à moi, monseigneur.

— Penses-tu qu’il s’agissait d’un cheval magique ?

— Je ne sais. Mais je peux me renseigner.

Les deux hommes se trouvaient dans le laboratoire de l’alchimiste, situé dans la grande tour. Avec des gestes rapides et précis, le thaumaturge alluma le feu sous son alambic, attendit que la chaleur soit intense puis y jeta différentes poudres. Les flammes tournèrent au vert, puis au violet. Il observa minutieusement la fumée multicolore quelles dégageaient, puis se tourna vers Sforza.

— Mes esprits les plus familiers m’indiquent qu’en effet il s’agissait d’un cheval magique. Vous allez très probablement devoir faire une croix sur votre dame, car celles qui s’en vont sur un cheval magique reviennent rarement, et de toute façon, si elles reviennent, croyez-moi, c’est pas pour rigoler.

— Enfer et damnation !

— Vous pouvez porter plainte auprès de mes esprits, monseigneur. Il y a peut-être une chance de la récupérer.

— Mais je ne veux pas la récupérer ! Je suis plus que ravi d’être débarrassé d’elle. Elle est d’un ennui, tu ne peux pas imaginer. Je suis heureux que Cressilda soit partie. Ce qui m’embête, c’est le cheval magique. Il n’en passe pas tous les quatre matins, n’est-ce pas ?

— Pour ça non. C’est très rare, ce genre de bestiole.

— Et il a fallu que ça tombe sur elle. Alors que si ça se trouve, ce cheval, c’était pour moi qu’il était venu. Comment a-t-elle pu oser partir sur le seul cheval magique à fouler mes terres depuis des temps immémoriaux ?

Le thaumaturge tenta de le réconforter, mais Sforza le repoussa et quitta la tour à grands pas pour retourner dans son manoir. Il était savant – de son point de vue tout du moins – et le fait qu’un événement aussi intéressant que celui-ci se soit produit sans qu’il ait pu y assister lui restait en travers de la gorge. Le plus dur à avaler, cependant, c’était qu’en général cheval magique signifiait réalisation d’un souhait, et que là aussi, il avait tout raté. C’était l’occasion d’une vie, et il l’avait laissée passer

Convaincu de cela, il fut littéralement époustouflé lorsque, une heure plus tard, en descendant faire un tour dans ses écuries, histoire de passer le temps, il trouva dans un des boxes un autre cheval blanc, qu’il n’avait jamais vu auparavant.

C’était un étalon, et il était blanc. Pas tout à fait aussi imposant peut-être qu’un cheval magique dans l’idée de Sforza, mais tout de même bien ressemblant. Sans hésiter, le comte se mit en selle.

— Et maintenant, on va voir ce qu’on va voir ! s’écria-t-il. Emmène-moi là où tu emmènes les gens d’habitude !

Le cheval se lança au petit trot, puis au petit galop, et enfin au grand galop.

Cette fois, c’est parti. En avant pour de nouvelles aventures, pensa Sforza en se cramponnant. Parce que magique ou pas, ça remuait drôlement, là-dessus.

Le démon de la farce
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