7

Westfall se demandait ce que fabriquait Hermès, qui en mettait, un temps, pour faire ses courses. Puis il se dit que ce n’était peut-être pas si facile de s’emparer d’une femme, de l’extirper du monde, comme ça. Il s’étonna ensuite de penser de la sorte. Ce n’était pas dans son habitude. Une créature surnaturelle s’était-elle emparée de lui pour lui souffler d’exiger cette femme ? Pas sûr, mais ce phénomène n’avait rien à voir avec le normal et dépassait les règles de la magie, il le sentait bien. Il s’agissait d’un pouvoir autonome qui se manifestait selon qu’il l’estimait utile ou non.

L’après-midi s’écoula, traîna en longueur. Westfall trouva un bout de fromage et un quignon de pain dans son garde-manger. Il trempa le pain dans un reste de brouet de la veille, réchauffé sur le petit poêle qui se trouvait dans un coin de la pièce. Une gorgée de vin lui rinça le gosier en guise de dessert, et il finit par s’assoupir dans son fauteuil. Tout était calme, lorsqu’un sifflement aussi strident que l’air qui se déchire le fit sursauter. Il jaillit de son siège.

— Vous avez la femme ?

— J’ai rempli ma mission, dit Hermès en agitant la main pour dissiper la fumée qui avait accompagné sa nouvelle entrée en scène.

Il était habillé de la même façon, mais portait sous le bras une petite boîte en bois richement travaillé.

— Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ? demanda Westfall.

Au même moment, on entendit dans l’escalier un pas assez lourd. De derrière la porte, une voix étouffée lança :

— Ouvrez, s’il vous plaît !

Westfall ouvrit la porte. Deux types costauds entrèrent, portant le corps d’une très belle jeune femme inconsciente, pâle comme un linge.

— On vous la pose où ? demanda celui qui portait les épaules et la tête.

— Sur le divan, là. Doucement !

Hermès paya les deux fossoyeurs et les reconduisit. Puis il se tourna vers Westfall.

— Je l’ai mise en votre pouvoir. Maintenant, vous avez son corps. Mais si vous voulez un conseil, ne faites pas de folies avec sans la permission de la dame.

— Où est-elle ? Sa conscience, je veux dire, elle est où ?

— Vous voulez parler de son âme, peut-être. Elle est ici. Dans la boîte.

Et il posa le coffret sur une des tables.

— Ouvrez-la quand vous voudrez, et son âme rejoindra son corps, le ranimera. Mais attention à la manœuvre. La petite dame n’est pas à prendre avec des pincettes. Elle n’a pas apprécié d’être invoquée de force alors qu’elle était occupée à autre chose.

— Son âme est réellement dans cette boîte ?

Westfall souleva la petite boîte incrustée d’argent et la secoua. Il en sortit un cri suivi d’un juron étouffé.

— À partir de maintenant, c’est vous le chef, dit Hermès.

— Mais qu’est-ce que je suis censé faire ?

— C’est à vous de le découvrir.

Le marchand secoua à nouveau, mais plus doucement.

— Mademoiselle Ylith ? demanda-t-il. Vous êtes là ?

— Un peu, mon neveu, espèce d’innommable chose grasse et rose ! cracha Ylith. Ouvre un peu ce couvercle, que je te règle ton compte !

Westfall blêmit et posa les deux mains sur le couvercle pour le maintenir fermement.

— Ouh là !

Il regarda Hermès, qui haussa les épaules.

— Elle est en colère.

— Non, vous croyez ? fit mine de s’étonner Hermès.

— Mais qu’est-ce que je vais faire ?

— Vous la vouliez. Je pensais que vous saviez pourquoi.

— Eh bien, pas exactement.

— Si je peux me permettre un autre conseil, essayez de trouver un terrain d’entente avec elle. C’est la seule solution.

— Je vais peut-être laisser la boîte de côté quelque temps.

— Ce serait une erreur.

— Pourquoi ?

— Si la boîte de Pandore n’est pas surveillée constamment, ce qu’elle contient peut en sortir.

— Mais ce n’est pas juste !

— J’ai joué franc-jeu avec vous, Westfall. Vous devriez savoir qu’avec ces petites choses il y a toujours un hic ! Bonne chance !

Et Hermès amorça le geste destiné à le faire disparaître.

— Souvenez-vous que j’ai encore le talisman, le menaça Westfall. Je peux vous faire venir quand je veux.

— Je vous le déconseille fortement, dit Hermès.

Et il s’éclipsa.

Westfall attendit que toute la fumée se fût dissipée puis se tourna vers la boîte.

— Mademoiselle Ylith ?

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— On peut parler, vous et moi ?

— Ouvrez cette boîte et laissez-moi sortir. Je vais vous parler, moi.

Le marchand frissonna, tant la rage était tangible dans la voix d’Ylith.

— Bon, alors peut-être qu’on ferait mieux d’attendre un peu, dit-il. J’ai besoin de réfléchir à tout ça.

Ignorant les jurons, il marcha jusqu’à l’autre bout de la pièce et entreprit de mettre un peu d’ordre dans ses pensées. Mais il ne lâcha pas la boîte des yeux.

Westfall gardait la boîte sur sa table de nuit. Il était forcé de dormir de temps à autre, mais se réveillait périodiquement pour s’assurer qu’Ylith était toujours à l’intérieur. Il était un peu inquiet à l’idée qu’elle puisse en sortir toute seule et se mit à rêver qu’elle était sur le point de soulever le couvercle, ou que, pendant la nuit, la boîte s’était ouverte. Il se réveillait parfois en hurlant.

— Écoutez, mademoiselle, dit-il un jour, les traits creusés par le manque de sommeil. Si on oubliait tout ça ? Je vous laisse sortir et vous me laissez tranquille. D’accord ?

— Pas d’accord, répondit Ylith. Vous ne pouvez pas demander aux miracles de se produire aussi facilement, Westfall.

— Que ferez-vous, si je vous laisse sortir ?

— Honnêtement, je n’en sais rien.

— Vous ne me tuerez pas, quand même ?

— Je pourrais. Je pourrais tout à fait. L’impasse, quoi.

Le démon de la farce
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