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Azzie était fermement décidé à en savoir plus long sur les chandeliers. Existaient-ils réellement ? Il fallait qu’il le sache. Et quelle que soit la réponse, il avait un plan. S’ils existaient, il les utiliserait dans la pièce qu’il allait mettre en scène. Sinon, il trouverait bien un artisan pour lui en bricoler des faux.

Mais il espérait vraiment ne pas avoir à le faire.

En Enfer, tout le monde sait que lorsqu’on a besoin d’un renseignement et qu’on est pressé, on va voir l’Homme de la Situation – Cornélius Agrippa, personnage d’une importance singulière ces derniers siècles et encore très en vogue à la Renaissance. Il vivait dans une sphère idéale qui n’était ni spirituelle ni matérielle mais possédait un caractère propre qui n’avait pas encore été défini. Agrippa lui-même avait été assez surpris de la voir apparaître de but en blanc, et n’avait pas encore eu le temps de l’intégrer à son système.

Ce système était basé sur une constatation tellement évidente qu’elle rendait difficile la démonstration de son existence : le cosmos et la totalité de son contenu formaient une unité ; toutes les parties de ce tout étaient interdépendantes. À partir de là, toute partie pouvait influencer toute autre partie, et le signe ou le symbole d’une chose pouvait influer sur la réalité de la chose qu’il représentait puisqu’ils étaient égaux dans l’unité à laquelle ils appartenaient tous. Bon, jusque-là, d’accord. Le problème, c’était d’essayer de prouver tout ça. Agrippa pouvait influer sur beaucoup de choses avec beaucoup d’autres choses, mais il n’avait pas encore réussi à influer sur toutes les choses en même temps et quand il en avait envie. En plus, il n’avait pas encore pris en compte l’existence du hasard qui, de temps à autre, lui fichait tous ses calculs en l’air, donnant des résultats complètement fantaisistes et donc illicites dans un univers planifié, et créant par conséquent quelque chose de nouveau. C’était à ce genre de problèmes qu’Agrippa réfléchissait dans la vieille et haute maison qu’il habitait, dans cet espace qui n’existait ni dans la sphère matérielle, ni dans la sphère spirituelle.

— Azzie ! Content de te voir ! s’écria l’alchimiste. Tiens, prends ça deux secondes, tu veux bien ? Je m’apprête à transformer l’or en vapeur noire.

— Vous croyez que c’est bien nécessaire ? demanda Azzie en prenant la cornue qu’Agrippa lui tendait.

— Ça l’est, si on veut pouvoir faire l’expérience inverse.

— Mais si c’est ce que vous cherchez, pourquoi transformer l’or au départ ?

Dans la cornue, le liquide se mit à bouillonner, puis de transparent devint ocre jaune veiné de vert.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Azzie.

— Un remède souverain pour les maux de gorge.

Agrippa était assez petit. Il avait une vraie barbe de philosophe, agrémentée de belles bacchantes, et se faisait les mêmes papillotes que les rabbins hassidiques qu’il retrouvait de temps en temps à la taverne des Limbes pour une bonne pinte et une conversation enrichissante. Il portait un long manteau et un grand chapeau pointu avec une grosse boucle en étain.

— Je ne comprends pas pourquoi un intellectuel comme vous s’embête à concocter un remède pour la gorge.

— J’essaie de rester pratique, expliqua Agrippa. Et pour la transformation de l’or, si j’arrive à repasser de l’état de vapeur noire et de boue à l’état d’or, ça veut dire que je pourrai transformer n’importe quelle vapeur noire en or.

— Ça vous ferait un paquet d’or, ça, dit Azzie en pensant à toute la boue qu’il avait vue dans sa vie.

— Un peu, mon neveu. Mais les paquets d’or, c’est ce que veulent les hommes. Et l’hermétisme est avant tout une philosophie humaniste. Bien, dis-moi, maintenant, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Avez-vous déjà entendu parler des sept chandeliers d’or que Satan donna à Adam pour l’aider à retrouver le chemin d’Éden ?

— Ça me dit quelque chose, en effet. Où est ma chouette ?

Entendant qu’on parlait d’elle, une grosse chouette blanche aux ailes tachetées s’envola sans bruit de son perchoir, juste sous le plafond.

— Va me chercher mon rouleau de parchemin, dit Agrippa.

Le volatile fit le tour de la pièce et sortit par la fenêtre. Agrippa regarda autour de lui, l’air un peu perdu, puis avisa la cornue entre les mains d’Azzie. Une étincelle illumina son regard.

— Ah ! La voilà ! Fais voir.

Il se pencha, renifla.

— Mmmmh, ben, ça devrait faire. Si c’est pas un remède pour la gorge, ça ira pour la gale. Je suis tout près de concocter la panacée qui guérira tous les maux. Voyons cette boue, maintenant.

Il regarda dans son petit fourneau, où l’or avait été mis à fondre, et fronça les sourcils.

— Même la boue a presque entièrement brûlé. Je pourrais essayer de le recréer de mémoire, parce que la doctrine des correspondances universelles pose en principe qu’il n’existe aucune condition impossible, et ce que la langue peut dire, l’esprit peut le concevoir et la main peut le saisir. Mais c’est plus facile de travailler à partir d’or frais. Ah ! Voilà ma chouette qui revient.

Elle se posa sur son épaule. Dans son bec, elle tenait un grand parchemin roulé. Agrippa s’en saisit, et la chouette retourna sur son perchoir.

— Ah ! ah ! s’écria l’alchimiste après avoir déroulé et rapidement parcouru le document. Voilà ! Les sept chandeliers existent en effet. Ils sont entreposés, avec tous les autres mythes perdus que le monde a connus, dans le château cathare de Krak Herrenium.

— Et c’est où, ça ? demanda Azzie.

— Dans les Limbes, un poil au sud du méridien zéro du Purgatoire. Sais-tu comment y aller ?

— Pas de problème. Merci beaucoup !

Et il se mit en route. Zouip !

Le démon de la farce
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