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Azzie s’approcha de mère Joanna, occupée à monter la petite tente qu’elle emportait toujours en pèlerinage. En toile de coton vert, elle se fondait bien dans la forêt, avec des piquets en bambou pour lui donner forme et une série de cordelettes pour l’amarrer au sol. Mère Joanna était justement en train d’essayer de démêler l’écheveau qui s’était formé pendant le voyage. Les cordelettes n’étaient plus qu’un gros nœud qui n’avait rien à envier au nœud gordien.
— C’est le travail du diable, de défaire une chose pareille, soupira-t-elle.
— Alors laissez-moi essayer, suggéra Azzie.
Elle lui tendit l’amalgame de cordes. Azzie leva son index gauche, souffla dessus. Son doigt devint jaune canari, et l’ongle s’allongea pour devenir une serre couleur acier. Azzie frappa le nœud de sa serre, un nuage de fumée verte flotta quelques instants autour des cordelettes. Lorsqu’il se dissipa, Azzie lança les cordes à mère Joanna, qui tenta de les attraper, mais elles se dénouèrent avant de l’atteindre et retombèrent les unes après les autres sur le sol.
— Ça alors… murmura-t-elle.
— C’est un truc de fakir, on me l’a enseigné dans un bazar de l’Orient, expliqua Azzie avec un grand sourire.
Elle le regarda, remarqua les petites flammes rouges qui dansaient dans ses yeux, et fut soulagée lorsque Azzie s’éloigna en sifflotant.
Plus tard ce soir-là, les pèlerins étaient réunis autour du feu. Tous les membres du convoi étaient présents, à l’exception d’Azzie, qui avait déclaré avoir envie de marcher un peu pour se détendre avant d’aller se coucher. Oliver et mère Joanna étaient assis un peu à l’écart du reste du groupe.
— Ce marchand, disait sir Oliver, qu’en pensez-vous, ma mère ?
— J’en pense qu’il me donne la chair de poule.
— Moi aussi. Il dégage quelque chose de mystérieux, vous ne trouvez pas ?
— Si, tout à fait. D’ailleurs, il y a à peine une heure de cela, j’ai eu avec lui un… disons un court échange qui m’a laissée songeuse.
— Moi aussi ! Quand il a vu que j’avais du mal avec le feu, il l’a allumé lui-même – avec son index !
— Son index, et quoi d’autre ?
— Rien d’autre. Il l’a pointé, et les flammes sont apparues. Il m’a dit que c’était un vieux truc de fakir appris en Orient. Mais moi ça m’avait plutôt l’air d’être de la sorcellerie.
Mère Joanna le regarda un moment, puis lui raconta ce qui s’était passé avec les cordelettes de sa tente.
— Ça n’est pas normal, tout ça, conclut sir Oliver.
— Non. Ça n’est pas normal du tout.
— Et ça n’est pas un truc de fakir non plus.
— Certainement pas. Et puis vous avez vu les petites lumières rouges qui brillent dans ses yeux ?
— Comment ne pas les remarquer ? C’est une marque du diable, non ?
— Tout à fait. Je l’ai lu dans le Petit Manuel de l’Exorciste.
À ce moment précis, Azzie réapparut en sifflotant joyeusement. Sur son épaule, il portait un jeune cerf.
— Permettez-moi de vous offrir le repas de ce soir, dit-il. Peut-être un de vos coquins pourrait-il dépecer ce noble animal et le faire rôtir pour nous ? Je vais prendre un bain dans le ruisseau, là-bas. Chasser le cerf, ça fait transpirer !
Et il s’éloigna en sifflotant.