3

— Ça y est, je l’ai ! lança une voix de femme.

Il y eut un cliquetis, suivi du bruit d’une barrière qui tombe.

Oliver se leva aussitôt, et entreprit de chercher les limites de son confinement.

Il n’y en avait pas, alors il se mit à marcher.

Il n’était pas très sûr de sa destination, mais comme il disposait d’un charme Cretinia, il imagina que tout irait pour le mieux. D’ailleurs, le charme le poussait, le tirait dans une direction bien précise, alors il n’y avait pas à s’en faire. Très vite, il se rendit compte qu’il parcourait de grandes distances. Lorsque le charme le tira vers bâbord, il se laissa faire.

Bientôt, il fut sur une plage. Il continua à marcher, arriva aux abords d’une grande caverne. Elle avait quelque chose d’inquiétant, et il envisagea d’abord de passer au large, mais il avisa un vieux panneau cloué juste au-dessus de l’entrée sur lequel était écrit : « Porteurs de Bague Charme Express –Bienvenue » et, en dessous, en tout petit : « Ne partez pas sans elle. » Alors il entra.

Un géant assis sur un tabouret se tenait à l’entrée.

— Vous avez la bague ? demanda-t-il à Oliver.

— Bien sûr, répondit le chevalier en la montrant.

Le géant l’examina minutieusement.

— Parfait. C’est bien vous.

Sur quoi il se leva et fit rouler un énorme rocher devant l’entrée de la caverne.

— Qu’est-ce que vous faites ? demanda Oliver.

— J’exécute les ordres, répondit le géant en reprenant place sur son tabouret.

— Et maintenant, que va-t-il se passer ?

— Croyez-moi, vaut mieux que vous en sachiez rien.

— Mais je veux savoir ! Dites-le-moi !

— Je vais vous manger.

— Vous plaisantez !

— Je ne plaisante pas du tout. Vous avez déjà rencontré un géant qui aimait la plaisanterie ?

— Mais je ne vous ai jamais rien fait de mal ! gémit Oliver.

— Ça n’a rien à voir avec ça.

— Avec quoi ça a à voir, alors ?

— Désolé, petit père, mais mon ordre de mission est on ne peut plus clair. Mange le type à la bague. Voilà ce qu’il y avait d’écrit.

— Quel type, avec quelle bague ?

— C’est pas précisé. Le type à la bague, point.

— Mais ça peut être n’importe qui !

— Écoute, petit père, peut-être qu’ils n’ont pas eu le temps d’être plus précis.

— Et si vous mangez le mauvais type ?

— Eh bien, on pourra dire que c’était quelqu’un qu’avait pas beaucoup de pot dans la vie, mais ça ne sera pas ma faute.

— Évidemment. N’empêche que c’est vous qu’on accusera.

— Comment vous le savez ?

— Quand il y a un problème, que ça soit votre faute ou pas, c’est pas vous qu’on accuse, peut-être ?

— Y a du vrai dans ce que vous dites, faut reconnaître.

Le géant se leva et alla un peu plus loin dans la caverne, où étaient installés un fauteuil, un lit et une lanterne. Oliver regarda autour de lui, à la recherche d’une arme, mais ne trouva rien qui puisse même faire office de bâton. Ce qu’il vit, en revanche, c’était un morceau de papier épinglé à la chemise du géant.

— Qu’est-ce que vous avez, sur l’épaule ?

— C’est le bordereau d’expédition qu’ils m’ont donné.

— Et qu’est-ce qu’il y a écrit dessus ?

— Juste que je dois rester ici jusqu’à ce que le type avec la bague se pointe.

— Et rien d’autre ?

— Pas que je sache.

— Laissez-moi regarder.

Mais le géant ne l’entendait pas de si bonne oreille. Son bordereau d’expédition, il y tenait, c’était le sien à lui et il n’avait aucune intention de le montrer à un étranger. À plus forte raison à un étranger qu’il allait manger.

Oliver comprenait bien tout cela, mais il était déterminé à voir ce qui était écrit sur ce papier. La seule chose qu’il trouva à proposer au géant fut un massage du dos.

— Et pourquoi est-ce que je voudrais un massage du dos ? demanda le géant, sceptique.

— Parce qu’après on se sent en pleine forme, voilà tout.

— Mais je me sens très bien comme ça, moi, dit le géant, alors que, de toute évidence, c’était faux.

— Je vois ça. Mais qu’est-ce que c’est qu’être bien, finalement ? Bien, ce n’est pas grand-chose. Ce n’est presque rien. Être en pleine forme, en revanche, c’est autre chose. Et je suis sûr que ça vous plairait.

— J’ai pas besoin de ça, moi, dit le géant.

— Quelle est la dernière fois où vous vous êtes senti en pleine forme ? Mais je veux dire vraiment au top, hein ! insista Oliver.

— Ben… Ça fait un petit moment, déjà. Tout le monde se fiche de comment se sent un géant. La plupart des gens pensent qu’un géant, ça n’a pas de sentiments, alors… Personne ne demande jamais des nouvelles de sa santé, et encore moins comment il va. On nous prend pour des idiots, mais on est quand même suffisamment intelligents pour nous rendre compte que les gens se fichent de nous comme de leur première cotte de mailles.

— Ça, c’est tout à fait vrai. Alors, ce massage ?

— D’accord. Faut que j’enlève ma chemise ?

— C’est comme vous préférez.

Le géant s’allongea sur le long rocher plat qui lui servait de lit et que pendant la journée il transformait en canapé en y posant de gros cailloux qui ressemblaient à des coussins – c’est pas parce qu’on est géant qu’on doit négliger la décoration.

Oliver lui retroussa sa chemise et entreprit de lui tapoter, malaxer le dos, doucement d’abord, puis avec un peu plus d’énergie car le géant se plaignit de ne rien sentir. Alors il claqua, pinça, martela, sans quitter des yeux le morceau de papier attaché à la chemise par une agrafe en bronze.

Enfin, il réussit à lire ce qui était écrit : « Ce géant est vulnérable uniquement sous l’aisselle gauche, qui n’a pas été blindée pour des raisons de ventilation. Il est recommandé au géant de ne jamais laisser quoi que ce soit approcher cette zone. » Suivait le sceau du fabricant, illisible.

Bon, c’était toujours ça, mais ça n’était pas grand-chose. Comment atteindre l’aisselle gauche du géant ? Même la droite était inaccessible.

Une ombre traversa le rocher qui fermait la caverne. Oliver leva les yeux. Un homme assez grand, très bien habillé – avec la mode italienne on n’était jamais déçu – apparut

— Bonjour, je suis Pietro l’Arétin, dit-il. C’est Azzie qui m’envoie. Si vous pouviez accélérer un peu la manœuvre et terminer votre massage, on se remettrait au travail, qu’en pensez-vous ?

— Qui est-ce ? demanda le géant, qui somnolait.

— Ne vous inquiétez pas, le rassura Oliver. C’est pour moi.

— Dites-lui de s’en aller. Après le massage, je suis censé vous dévorer.

Oliver leva les yeux au ciel, fit un geste implorant, l’air de dire : « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

De son côté, l’Arétin venait de se rendre compte de la présence du géant. Il avança doucement, d’un pas méfiant, craignant d’en voir surgir d’autres.

— Il est blindé ? chuchota-t-il à l’adresse d’Oliver.

— Oui. Blindage total en dehors de l’aisselle gauche.

— Alors il va falloir le faire s’étirer.

— Facile à dire.

— Vous savez s’il y a du raisin dans le coin ?

— Je vais demander, répondit Oliver, qui avait tout de suite compris l’idée de l’Italien.

— Du raisin ? s’étonna le géant. Pourquoi faire ?

— Le repas du condamné. C’est la coutume.

— Jamais entendu parler. Mais ça devrait pouvoir se trouver. Il était du tonnerre, votre massage.

Le géant se leva, fit signe à Oliver de le suivre et sortit de la caverne. À quelques pas de là se trouvait une vigne grimpante.

— Elle est trop haute, je n’arrive pas à attraper les grappes, se plaignit le chevalier.

— Attendez, je vais vous aider.

Le géant tendit le bras, exposant de fait son aisselle. L’Arétin lança son épée à Oliver, mais celui-ci hésita. Le géant avait levé le bras droit.

— Essayez quand même ! l’encouragea Pietro.

Oliver serra les dents et plongea l’épée dans l’aisselle du géant. Elle était blindée, comme il l’avait craint, mais pas si bien que ça. L’épée s’enfonça sans grande difficulté.

— Ouille ! Mais pourquoi vous me faites mal ?

— Il le fallait. Vous alliez me tuer.

— J’aurais changé d’avis.

— Et comment vouliez-vous que je le sache ?

Le géant tomba, se mit à grincer des dents.

— J’aurais dû m’en douter. Un géant qui gagne, ça s’est jamais vu. Au fait, le chandelier que vous cherchez, c’est moi qui l’ai. Il est au fond de la caverne.

Et, dans un ultime soupir, il rendit l’âme.

— Vite ! dit l’Arétin. Allez chercher le chandelier !

Oliver courut au fond de la caverne, le trouva caché derrière un rocher. Il avait désormais la bague, la clé et le chandelier. Il fit deux pas en avant, leva les yeux et fit un bond en arrière.

L’Arétin avait disparu. Devant lui se tenait quelqu’un d’autre.

Le démon de la farce
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