7

Assis dans sa chambre, à peine attentif aux murmures de la nuit, il lisait un vieux parchemin qui sentait le moisi, de l’espèce de ceux qui sont éternellement disponibles dans les librairies les plus populaires de l’Enfer. Il adorait les classiques. Malgré des dons certains pour l’innovation, qui l’avaient entraîné dans l’aventure qu’il vivait aujourd’hui, Azzie était traditionaliste de cœur.

On frappa à la porte.

— Entrez, dit-il.

Sir Oliver apparut. Le chevalier avait quitté son armure, et semblait ne porter aucune arme. Peut-être savait-il qu’il valait mieux ne jamais être armé en présence d’un suppôt de Satan.

— J’espère que je ne vous dérange pas…

— Pas du tout, dit Azzie. Prenez un siège. Je vous sers un verre de vin ? Que puis-je pour vous ?

— C’est à propos de votre offre…

— Elle vous intrigue, n’est-ce pas, mon offre ?

— En effet. Vous avez dit, à moins que j’aie mal compris, que vous pouviez faire en sorte que le souhait le plus cher de quelqu’un soit exaucé.

— C’est en effet ce que j’ai dit.

— Et vous avez insisté sur le fait qu’il n’était point besoin d’un talent particulier pour voir son rêve se réaliser.

— D’où l’intérêt de la chose ! Parce que si vous y réfléchissez deux secondes, celui qui a un talent spécial au départ, il n’a pas besoin de mon aide, si ?

— Évidemment. Vous expliquez tellement bien les choses…

— Vous êtes trop bon. Alors, que puis-je pour vous ?

— Eh bien, ce que je voudrais, c’est devenir un grand guerrier, dont la renommée s’étendrait bien au-delà des frontières, je voudrais être le pair de celui qui portait le même nom que moi, cet Olivier qui combattit avec l’arrière-garde de Roland, à l’époque de Charlemagne.

— Je vois… Continuez.

— Je veux remporter une victoire importante, contre toute attente, et sans risquer d’être blessé.

Azzie sortit un bloc de parchemin, un stylet à taille automatique, et écrivit : « Pas de risque de blessure. »

— Je veux que par monts et par vaux on connaisse mon nom, et qu’on l’associe à ceux d’Alexandre ou de Jules César. Je veux commander une petite troupe d’excellents hommes, de champions inégalés, qui sauront compenser leur petit nombre par une férocité et une adresse sans bornes.

— Férocité et adresse, nota Azzie, en soulignant « férocité » parce que ça faisait plus joli.

— Quant à moi, bien sûr, continua sir Oliver, je serai le meilleur d’entre eux. Mes qualités de guerrier seront sans égales. Et ces qualités, mon cher démon, je désire les acquérir sans que cela me coûte ni me fatigue. J’aimerais aussi avoir mon propre royaume, qu’on m’offrirait gracieusement, et dans lequel je me retirerais avec une jolie jeune femme, une princesse de préférence, qui m’épouserait, me ferait un tas de beaux mioches et avec laquelle je vivrais heureux longtemps, longtemps, longtemps. J’insiste sur ce dernier détail. Je ne veux pas de coup de théâtre en fin de parcours qui me rende amer ou triste.

Azzie nota : « Doit vivre heureux et longtemps, longtemps, longtemps », mais ne le souligna pas.

— Voilà, en gros, c’est tout, conclut sir Oliver. Vous pensez pouvoir y arriver ?

Azzie relut la liste. Pas de risque de blessure. Férocité et adresse. Doit vivre heureux longtemps, etc.

Sur ce dernier point, il fronça les sourcils, puis leva les yeux.

— Je peux prendre en charge certains aspects de votre requête, mon cher Oliver, mais pas tous. Non pas que j’en sois incapable, attention, mais comme je vous l’ai expliqué, ma pièce met plusieurs personnes en scène, et, à ce rythme-là, pour exaucer tous les vœux de tout le monde, il faudrait des palanquées de miracles et un temps fou. Alors je vais faire en sorte que vous puissiez, sans courir le moindre danger, gagner une importante bataille pour laquelle vous serez largement récompensé en espèces sonnantes et trébuchantes et en estime de la part de vos semblables. Le reste, ce sera votre affaire.

— Bon, soupira sir Oliver, j’aurais aimé quelque chose de plus complet, mais avec ça je devrais pouvoir m’en tirer. En démarrant comme héros riche et célèbre, je suis sûr que je peux obtenir le reste par moi-même. J’accepte votre offre, mon cher démon ! Et permettez-moi de vous dire que, contrairement à beaucoup, je suis loin d’être opposé aux pouvoirs du Mal. J’ai souvent pensé que Satan avait raison sur bien des points, et puis sa compagnie est indubitablement plus distrayante que celle de son homologue austère du Paradis.

— J’apprécie l’effort que vous faites pour me plaire, mais je ne tolérerai aucune diffamation à l’encontre de notre digne opposant. Nous autres qui agissons au nom du Bien ou du Mal travaillons en trop étroite collaboration pour nous diffamer les uns les autres. C’est que la Lumière et les Ténèbres partagent le même cosmos, voyez-vous.

— Je vous prie de m’excuser. Il est évident que je n’ai rien à reprocher au Bien.

— Vous êtes excusé. Par moi en tout cas. On peut commencer, maintenant ?

— Oui, monseigneur. Désirez-vous que je signe un parchemin de mon sang ?

— Cela ne sera pas nécessaire. Vous m’avez fait part de votre accord, il est désormais enregistré. Et ainsi que je vous l’ai précisé tout à l’heure, votre âme vous reste acquise.

— Qu’est-ce que je fais, alors ?

— Prenez ça.

De sous sa cape, Azzie tira une petite clé en argent très travaillé. Sir Oliver la regarda à la lumière, admiratif d’une telle facture.

— Et qu’ouvre-t-elle, monsieur le démon ?

— Rien. C’est un charme Cretinia à double barillet. Rangez-le dans un endroit sûr. Continuez votre pèlerinage. À un moment – dans quelques secondes peut-être, ou dans quelques heures, mais peut-être aussi dans quelques jours – vous entendrez un gong. C’est le bruit que fera le charme lorsqu’il se mettra en position Marche. Vous devrez alors le prendre et le conjurer de vous mener jusqu’à sa moitié. L’objet est programmé pour ça, mais insistez si vous constatez une petite hésitation de sa part, ça ne lui fera pas de mal. Il vous mènera donc jusqu’à sa moitié, qui se trouve auprès d’un cheval magique. Dans une des sacoches de selle de l’animal, vous trouverez un chandelier d’or. C’est clair, jusque-là ?

— Limpide. Il faut trouver un chandelier.

— Ensuite, vous devrez vous rendre à Venise – si vous n’y êtes pas déjà. Tout de suite après votre arrivée, peut-être même un peu avant, vous découvrirez que votre vœu a été exaucé. Une cérémonie officielle, avec toute la pompe de circonstance, sera organisée lorsque tout sera terminé. Après ça, vous serez libre de profiter de votre bonne fortune.

— Tout cela me paraît très bien. C’est quoi, le hic ?

— Le hic ? Il n’y a pas de hic !

— En général, dans ce genre d’histoires, il y en a un, maugréa sir Oliver.

— Et qu’est-ce que vous y connaissez, vous, à ce genre d’histoires ? C’est votre rayon, peut-être, les histoires de magie ? Bon, allez, ça suffit, maintenant. Vous êtes partant, oui ou non ?

— Oui, oui, oui ! Je pars, je cours, je vole. Je voulais simplement savoir en gros où je mettais les pieds. Et si vous me permettez une dernière remarque, je trouve que c’est beaucoup de complications pour pas grand-chose. Pourquoi ne puis-je pas aller directement chercher le chandelier ?

— Parce qu’il vous faudra faire deux, trois petites choses entre le moment où le charme se met en marche et votre grand retour en féroce guerrier vainqueur de toutes les armées d’Europe.

— Et… ces petites choses, elles ne seront pas trop difficiles ?

Azzie commença à en avoir ras la tignasse.

— Bon, écoutez, ça va bien, maintenant, hein ! Soyez prêt à faire ce qu’on vous demandera de faire, point. Et si vous avez le moindre doute sur vos dispositions, rendez-moi la clé. Parce que si vous craquez en plein milieu de l’histoire, vous allez le sentir passer.

— Non, non, aucun risque, dit sir Oliver en brandissant la clé, comme pour se rassurer.

— Comme je l’ai déjà dit, vous recevrez ultérieurement d’autres instructions.

— Vous ne pouvez pas m’en dire un tout petit peu plus ?

— Vous devrez prendre des décisions.

— Des décisions ? Ouh là ! Je ne suis pas sûr d’aimer ça. Bon, tant pis. Je prendrai les choses comme elles viendront, et tout se passera bien, n’est-ce pas ?

— C’est ce que je m’échine à vous faire comprendre. Satan n’attend rien de plus d’un homme qu’il fasse son devoir, et le fasse de son mieux. Les règlements du Mal interdisent d’en demander plus.

— Très bien. Bon, eh bien, je vous laisse, alors.

— Bonne nuit, dit Azzie.

Le démon de la farce
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