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Azzie avait prévu de fêter l’entrée de sir Oliver dans le passage, car cela signifiait que sa pièce immorale avait réellement commencé. Tout ce que l’Arétin avait à faire, c’était observer la progression du chevalier, et l’écrire. Mais à peine Oliver avait-il été lancé qu’il avait commencé à avoir des problèmes.
Azzie ne perdit pas une seconde. Pour trouver ce qui s’était passé, il suivit la piste de sir Oliver dans le royaume de la féerie grâce aux signes révélateurs qui permettent au Mal de suivre les progrès de l’Innocence. Ainsi, il pénétra dans l’étrange forêt où les terres de la réalité et celles de la féerie se confondent.
Après avoir longuement erré dans les tristes allées de la forêt, il arriva à une clairière, à l’autre bout de laquelle il vit sir Oliver, assis sur un tronc, et une chouette posée en face de lui. Ils jouaient aux cartes avec un petit jeu qui était juste de la bonne taille pour que la chouette puisse tenir les cartes dans ses serres.
Azzie hésita entre le rire et les larmes. Il avait envisagé un destin plus… reluisant pour Oliver.
Il se précipita vers lui.
— Dites donc, Oliver ! Ça suffît, la rigolade, faudrait voir à prendre du souci, là.
Mais il ne fut pas entendu, et ne put s’approcher à moins de vingt pas du pèlerin, une espèce de mur invisible caoutchouteux l’empêchant d’avancer. De toute évidence, le mur faisait aussi office d’isolateur phonique, et bloquait ou déformait l’image, car Oliver ne vit pas Azzie.
Ce dernier suivit les contours du cercle invisible jusqu’à se trouver exactement en face du chevalier et se posta là, attendant qu’il lève les yeux. Mais lorsque Oliver regarda effectivement dans cette direction, ce fut comme s’il voyait à travers Azzie, et très vite, il retourna à sa partie de cartes.
Pour Azzie, ce qui se passait était des plus inquiétants. Cela allait bien au-delà du domaine de la plaisanterie plus ou moins fine dans lequel il excellait. Qui avait bien pu s’immiscer dans cette histoire ?
Il soupçonna d’abord Babriel, mais les capacités mentales de l’ange n’étaient pas développées au point de lui permettre de concevoir et d’exécuter un tel dessein. Alors qui ? Michel ? Il ne retrouvait pas ici la finition soignée caractéristique de tout ce que l’archange entreprenait. Et puis ce genre d’histoire, ce n’était pas son style – sauf que, par désespoir, il était capable de tout.
Restait Ylith. Impossible de ne pas envisager cette éventualité. Mais qu’avait-elle fait, précisément ?
L’instant d’après, elle se tenait à ses côtés.
— Bonjour, Azzie, dit-elle. À moins que j’aie raté mon exercice de divination, il me semble que tu pensais à moi, là, tout de suite.
Son sourire était franc, beau, et ne laissait rien paraître.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
— J’avais envie de te jouer un petit tour. Il s’agit d’une barrière invisible, aux normes tout ce qu’il y a de plus standard.
— Très amusant. Enlève-la, maintenant ! s’énerva Azzie.
Ylith avança jusqu’à la barrière invisible, la tâta.
— C’est bizarre, dit-elle au bout d’un moment.
— Qu’est-ce qui est bizarre ?
— Je n’arrive pas à trouver l’anomalie qui fait fonctionner la barrière. Elle devrait être là, en principe.
— Bon, allez, ça suffit, cette histoire, dit Azzie. Je vais voir Ananké.