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Lorsqu’ enfin elle fut libérée de la boîte de Pandore, Ylith alla tout droit faire son rapport à l’archange Michel. Elle le trouva dans l’immeuble de la Toussaint, plongé dans un tas de listings parcheminés. Il était tard, les autres anges et archanges étaient déjà partis. Mais dans le bureau de Michel, les chandelles étaient encore allumées. Il avait passé la journée à lire les rapports de ses différents émissaires en poste un peu partout dans l’univers. Ce que certains racontaient l’ennuyait considérablement.
Il leva les yeux en entendant Ylith.
— Tiens ? Bonsoir, ma cocotte. Que se passe-t-il ? Tu sembles un peu chiffonnée.
— À vrai dire, il vient de m’arriver une aventure.
— Ah bon ? Raconte, je t’en prie.
— Rien de bien grave, en réalité. Un idiot m’a invoquée, j’ai répondu, et Hermès m’a enfermée dans la boîte magique de Pandore. J’ai finalement réussi à m’en sortir, avec l’aide de Zeus.
— Zeus ? Vraiment ? Cette vieille branche est encore dans le circuit ? Je pensais qu’il avait raccroché et se prélassait dans le Monde de l’Ombre.
— Oui, c’est bien là-bas qu’il se trouve, mais il s’est projeté jusqu’à moi dans la boîte magique.
— Ah, oui, c’est vrai. J’oubliais que les anciens dieux pouvaient faire ce genre de chose. Mais les petits anges que tu devais accompagner en voyage d’études dans les cimetières anglais, ils sont restés seuls ?
— Dès que je suis sortie de la boîte de Pandore, j’ai confié les enfants à sainte Damoiselle et suis venue vous faire mon rapport.
— Et sainte Damoiselle n’a pas tordu le nez quand tu lui as demandé de faire du baby-sitting ?
— Elle était trop contente de faire quelque chose d’un peu plus concret, pour une fois. C’est fou, tout de même, comme les poèmes peuvent vous figer dans des rôles dont on ne peut pas se défaire, vous ne trouvez pas ?
Michel hocha la tête.
— J’ai un travail important pour toi, sur Terre, dit-il.
— C’est parfait, j’adore visiter les lieux saints.
— Il s’agit de faire un peu plus que du tourisme, cette fois. Il s’agit d’Azzie.
— Ah.
— Il semblerait que ton ami démoniaque ait encore une idée derrière ses oreilles en pointe. Une idée particulièrement farfelue.
— C’est bizarre, je l’ai croisé récemment, à York, et son seul projet était d’aller voir une pièce morale.
— Eh bien, on dirait que cette pièce lui a donné des idées. Tout indique qu’il travaille à quelque chose. Mes observateurs m’ont rapporté qu’il s’est mis en relation avec Pietro l’Arétin, cet horrible suppôt de Satan. Étant donné le penchant avéré d’Azzie pour l’inattendu, je suis sûr qu’il nous prépare encore un mauvais coup.
— Mais pourquoi vous faire du souci à propos d’une simple pièce ?
— Je pense justement qu’il ne s’agit pas d’une « simple » pièce. À en juger d’après les états de service d’Azzie, notamment pour ce qui concerne les affaires du Prince Charmant et de Johann Faust, cette nouvelle entreprise, quelle qu’elle soit, risque de provoquer un affrontement direct des forces du Bien et du Mal, et pour tous, ce sera « Marche ou crève », alternative ô combien alléchante ! Juste au moment où nous pouvions enfin vivre en paix dans le cosmos ! Bien sûr, il ne s’agit que de rumeurs, mais nous devons en tenir compte, d’autant qu’elles nous viennent tout droit des vestes retournées et placées par nos soins parmi les Forces du Mal pour nous tenir au courant des faits et gestes de l’ennemi. Ylith, j’ai vraiment besoin que tu ailles faire un petit tour là-bas.
— Par petit tour, je suppose que vous voulez dire fouiner partout le plus discrètement possible, telle l’espionne moyenne ? Et puis d’abord, qu’entendez-vous par « nous » ?
— Dieu et moi. Je te demande tout cela en Son nom, bien sûr.
— Oui. Comme d’habitude. Et pourquoi Il ne fait jamais Ses commissions Lui-même ? demanda Ylith d’un ton impertinent.
— Un grand nombre d’entre nous se sont déjà demandé pourquoi le contact avec Lui n’est jamais direct. Avec moi aussi II parle toujours par un intermédiaire. C’est un mystère, et nous ne sommes pas censés le discuter.
— Pourquoi ?
— Il faut savoir faire confiance, c’est tout. Pour l’heure, nous devons découvrir ce que prépare Azzie. Rejoins-le, invente n’importe quelle excuse pour justifier ta présence, et vois à quoi il s’occupe. Je peux me tromper, mais il me semble que notre jeune démon orgueilleux ne pourra pas te cacher très longtemps son dessein. À l’heure qu’il est, son projet devrait être en plein boum.
— Très bien. J’y vais tout de suite alors.
— S’il te plaît. Et juge par toi-même. Si tu découvres qu’Azzie Elbub a sous le coude un plan visant à la subversion de l’humanité et à la glorification de Satan, et si l’occasion se présente, mets-lui quelques bâtons dans les roues, ça ne pourra pas lui faire de mal. Ha ! Mon humour est un peu limite, je sais.
— Vous m’ôtez les mots de la bouche, ironisa Ylith.