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Lorsque Kornglow se retrouva dans un coin de la vieille écurie, il fut plus que surpris de voir un cheval sellé là où il n y en avait pas quelques minutes auparavant. C’était un grand étalon blanc dont les oreilles se dressèrent en entendant approcher le valet. Comment cette noble monture était-elle arrivée jusqu’ici ? Et puis il réalisa qu’il se trouvait dans un tout autre endroit que celui auquel il pensait. La clé magique avait dû le faire passer par une de ces portes dont avait parlé Azzie, et son aventure avait peut-être déjà commencé.
Mais il devait s’en assurer. Remarquant que le cheval portait deux sacoches, il en ouvrit une et glissa un bras à l’intérieur. Sa main rencontra quelque chose de lourd, métallique, allongé. Il tira. Un chandelier ! Et à moins de se tromper, il était en or. Kornglow le remit précautionneusement dans la sacoche.
Le cheval hennit en le regardant, comme s’il l’invitait à l’enfourcher et à partir, mais Kornglow secoua la tête et sortit de l’écurie. L’imposant manoir qu’il découvrit à moins de vingt mètres était à n’en pas douter la demeure du seigneur Rodrigue Sforza, celle-là même dans laquelle il avait vu pour la première et seule fois dame Cressilda.
C’était sa maison. Elle était à l’intérieur.
Mais son époux aussi, très certainement. Tout comme ses domestiques, gardes, laquais, bourreaux…
Bon. Pas la peine de précipiter les choses. La componction déploya ses ailes noires au-dessus de lui, et Kornglow entreprit de réfléchir. Pour la première fois, il prit un peu de recul par rapport à son aventure, et la trouva finalement un brin cucul la praline. C’étaient les nobles, d’ordinaire, qui faisaient ce genre de choses. Bon, parfois, dans les légendes populaires, les manants jouaient un petit rôle. Mais lui, avait-il l’étoffe d’un tel héros ? Il n’en aurait pas mis sa main à couper. Il se savait doué d’une certaine facilité à rêvasser mais sinon, jamais il ne se serait mis tout seul dans un tel pétrin. Était-il capable d’aller jusqu’au bout ? Dame Cressilda en valait-elle la peine ?
— Pourquoi, monsieur, fit alors une petite voix à ses pieds, posez-vous votre regard sur ce manoir comme si quelqu’un de très spécial vous y attendait ?
Kornglow baissa les yeux. À côté de lui se trouvait une toute petite fille de ferme en corsage brodé et jupe plissée. Ses cheveux bruns bouclés étaient légèrement décoiffés, son regard était impertinent, sa silhouette rebondie et courbée aux bons endroits et son sourire doux et lascif. Un mélange explosif.
— C’est la demeure du seigneur Sforza, n’est-ce pas ? demanda Kornglow.
— En effet. Vous n’auriez pas dans l’idée d’enlever dame Cressilda, par hasard ?
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Pour aller droit au but. Il s’agit d’un petit jeu, organisé par un certain démon de ma connaissance.
— Il m’a dit que dame Cressilda m’appartiendrait.
— C’est facile, pour lui, de promettre. Moi, je suis Léonore, simple fille de ferme aux yeux de tous, mais en vérité bien plus que ça, je peux vous l’assurer. Je suis ici pour vous dire que la dame avec laquelle vous envisagez de finir vos jours est en réalité une garce de la pire espèce. Gagner son cœur reviendra en gros à vous damner jusqu’au trognon.
Un tel discours surprit évidemment Kornglow, qui regarda Léonore avec un intérêt que chaque seconde renforçait.
— Je sais plus quoi faire, maintenant, dit-il enfin. Pourriez-vous me conseiller ?
— Ça, c’est dans mes cordes. Je vais vous lire les lignes de la main et je vous dirai tout ce que j’y verrai. Venez par là, nous serons plus à l’aise.
Elle l’entraîna dans l’écurie, jusqu’à un coin où le foin formait de confortables coussins. Ses yeux étaient grands et sauvages, de la couleur de la magie, elle semblait légère comme une plume. Elle lui prit la main et le fit asseoir à côté d’elle.