9

Le jour était levé. À l’auberge, les pèlerins restants s’apprêtaient à avaler bouillie de flocons d’avoine et pain noir tandis que les domestiques préparaient les chevaux.

Dans sa chambre, Azzie ruminait, toujours en compagnie de l’Arétin. Le nombre de volontaires qui s’étaient présentés à l’audition était décevant.

— Mais que font les autres ? demanda le démon à voix haute. Qu’est-ce qui les retient ?

— La peur ? suggéra l’Arétin. A-t-on vraiment besoin de sept personnes ?

— Peut-être pas, après tout. On prendra ce qu’on trouvera. Et peut-être devrait-on s’arrêter là.

Juste à ce moment, on frappa.

— Aha ! se réjouit aussitôt Azzie. Je savais bien qu’on aurait d’autres participants. Ouvrez la porte, mon cher Pietro, et voyons qui vient nous proposer ses services.

Un peu las, l’Arétin se leva, traversa la pièce et ouvrit. Une très belle jeune femme entra. Blonde, le teint diaphane, de fines lèvres parfaitement dessinées, elle portait une robe bleu ciel et des rubans d’or dans les cheveux. Son air était grave.

— Madame, dit Pietro, y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour vous ?

— Oui, je crois, répondit la jeune femme. Êtes-vous celui qui a envoyé le cheval magique ?

— Ah, là, c’est à mon ami Antonio que vous allez devoir vous adresser.

Après l’avoir fait asseoir, Azzie reconnut que oui, il était responsable de la venue des chevaux magiques, et que oui, avec chaque cheval était comprise la réalisation d’un souhait, et qu’enfin jouer dans sa pièce était la seule condition requise pour l’obtention de tels privilèges. Il expliqua ensuite qu’il était un démon, mais pas un démon effrayant. Un démon plutôt gentil, d’après certains. Et comme ces révélations ne parurent pas décourager Cressilda, il lui demanda comment elle s’était procuré le cheval magique.

— Il est sorti de mon écurie et s’est arrêté dans la cour. Je suis montée en selle et je l’ai laissé faire. Il m’a conduite jusqu’ici.

— Mais ce n’est pas à vous que je l’ai envoyé, expliqua Azzie. Ce cheval était prévu pour quelqu’un d’autre. Vous êtes sûre que vous ne l’avez pas volé, ma chère ?

Cressilda se leva, offensée.

— Vous m’accusez d’être une voleuse de chevaux ?

— Non, non, bien sûr que non. Ça n’a pas l’air d’être votre genre. N’est-ce pas, Pietro ? À tous les coups, c’est notre ami Michel qui se paie notre tête encore une fois. Mais voyez-vous, Cressilda, ce cheval ouvre réellement à son propriétaire les portes d’un monde dans lequel son vœu le plus cher peut se réaliser. Et il se trouve que j’ai besoin d’une ou deux personnes pour ma pièce, alors si vous vous portez volontaire. .. Étant donné que vous avez déjà le cheval…

— Oui ! s’écria Cressilda. Sans hésitation !

— Et quel est votre souhait ? demanda Azzie, persuadé qu’elle allait se lancer dans un récit sentimental dégoulinant d’eau de rose, avec beau prince, vie conjugale heureuse et marmots à la pelle.

— Je veux devenir un guerrier, dit-elle. Je sais que c’est assez inhabituel pour une femme, mais il y a eu Jeanne d’Arc, tout de même. Et avant elle Boadicée. Je veux mener des hommes au combat.

Azzie réfléchit, tourna et retourna le problème dans tous les sens. Rien de tout cela ne figurait dans son plan de départ, et l’Arétin n’avait pas l’air emballé par la tournure que prenaient les événements. Mais il fallait que la pièce avance, et finalement, il avait accepté le principe qui consistait à prendre ceux qui se présenteraient, quels qu’ils soient.

— Je pense que nous allons pouvoir faire quelque chose pour vous, dit-il enfin. Je vais juste avoir besoin d’un peu de temps pour tout organiser.

— C’est parfait, dit Cressilda. Au fait, si vous voyez mon époux, Rodrigue Sforza, ne vous croyez pas obligé de lui dire où je me trouve.

— Je suis la discrétion même.

Cressilda repartie, Azzie et l’Arétin s’installèrent pour préparer une scène. Mais avant même qu’ils aient pu commencer, une silhouette se posa sur la fenêtre et frappa au carreau avec insistance.

— Vous voulez bien ouvrir, l’Arétin ? C’est un ami.

Le Vénitien alla ouvrir la fenêtre. Un petit lutin à longue queue entra et voleta dans la pièce. Il était de la famille des diablotins, que les Puissances des Ténèbres employaient pour faire circuler l’information.

— Lequel d’entre vous est Azzie Elbub ? demanda-t-il. J’ai pas le droit à l’erreur.

— C’est moi, dit Azzie. Quel message m’apportes-tu ?

— C’est à propos de mère Joanna, expliqua le lutin. Et je crois qu’il vaut mieux que je reprenne tout depuis le début.

Le démon de la farce
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