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Le temps était tout bonnement devenu intolérable. Azzie décida d’étudier le problème de plus près. Renseignements pris, il s’avéra que les tempêtes n’avaient pas toutes la même origine. Elles faisaient leur apparition « au nord », comme c’est généralement le cas. Mais au nord, après tout, qu’est-ce que ça voulait dire ? Au nord du nord ? Au nord de quoi ? Et qu’avait-il de si particulier, le nord, qui lui permettait de faire la pluie et… la pluie ? Azzie résolut d’en savoir plus, et si possible de remédier à cette situation.
Il expliqua à l’Arétin ce qu’il allait faire, puis alla ouvrir une fenêtre. Le vent violent s’y engouffra aussitôt avec un hurlement.
— Ça risque d’être dangereux, dit l’Arétin.
— Ça l’est probablement, répondit Azzie avant d’ouvrir ses ailes pour prendre son envol.
Il quitta Venise, piqua droit vers le nord à la recherche de l’endroit où naissaient les tempêtes. Au-dessus de l’Allemagne, il vit pas mal de mauvais temps, mais qui venait lui aussi du nord. Il traversa la mer du Nord, atteignit la Suède, découvrit qu’elle n’était pas responsable des tempêtes, qui ne faisaient qu’y passer. Il remonta un peu plus le courant des vents, qui le conduisit jusqu’à la Finlande, où les Lapons avaient la réputation d’être de grands magiciens du temps. Mais partout où il alla dans ce plat pays couvert de neige et de pins, il découvrit que le temps ne venait pas de « là », et se contentait de passer par « là », en provenance du nord.
Il arriva alors dans une région où les vents soufflaient à sa rencontre avec une vitesse et une régularité impressionnantes. Ils balayaient la toundra gelée sans relâche, et avec une telle énergie qu’on aurait dit des déferlantes plus que des courants d’air.
Azzie continua, toujours plus loin au nord, bien que dans cette direction le monde lui semblât se rétrécir. Enfin, il atteignit le point le plus au nord du nord et vit une haute montagne de glace au sommet de laquelle se trouvait une tour. Elle était si vieille qu’il semblait qu’elle avait été bâtie avant le reste du monde et que cet endroit avait été le seul possible pour sa construction.
Au sommet de la tour, il y avait une plate-forme, sur laquelle se tenait un homme immense, nu, ébouriffé, qui avait l’air des plus étranges. Il actionnait un énorme soufflet en cuir. Et chaque fois qu’il le fermait, le soufflet expirait du vent. Voilà d’où venaient tous les vents du monde.
Ils sortaient du soufflet tous pareils, avec la même régularité, puis s’engouffraient dans les tuyaux d’une drôle de machine.
Une étrange créature était assise devant ce qui ressemblait à un clavier d’orgue, et ses mains, avec de nombreux doigts si souples qu’on aurait dit des tentacules, couraient sur les touches, donnant une forme nouvelle aux vents qui passaient à travers. C’était une machine allégorique comme savent en fabriquer les religions lorsqu’elles essaient d’expliquer le fonctionnement du monde. Elle dirigeait ensuite les vents formés et conditionnés vers la fenêtre, d’où ils entamaient leur voyage vers de multiples directions, mais toujours vers le sud, et surtout vers Venise.
Mais pourquoi Venise ?
Azzie ajusta sa vision radiographique, dont disposent tous les démons, mais que peu utilisent car elle est d’une mise au point difficile, un peu comme les divisions à virgule en calcul mental. Il découvrit alors que les lignes Ley avaient été tracées sur le sol en dessous de la glace, et que ces lignes guidaient les vents tout en augmentant leur puissance.
Et la pluie ? Le temps, dans ce grand nord, était sec, vif, à l’état neuf et sans la moindre trace d’humidité.
Azzie regarda autour de lui. En dehors du responsable du soufflet et de l’organiste des vents, il n’y avait pas un chat.
— Messieurs, leur dit-il, vous êtes en train de provoquer une pagaille monstre dans la région de la Terre où je réside, et je ne peux le tolérer. Si vous ne cessez pas immédiatement, je me verrai dans l’obligation de prendre des mesures.
C’était courageux de sa part – après tout, ils étaient deux contre un. Mais agir avec audace, c’était dans sa nature, et sa nature ne le desservit pas.
Les deux personnages se présentèrent. Ils étaient l’incarnation du dieu Baal. Le responsable du soufflet était Baal-Hadad, l’autre s’appelait Baal-Quar-nain, c’étaient des divinités cananéennes qui avaient vécu tranquillement pendant des milliers d’années, après que leurs derniers disciples avaient disparu. Zeus les avait repris tous les deux à son service, arguant du fait qu’il n’existait pas de meilleurs experts météo sur la place pour fabriquer le temps qu’il désirait, une fois qu’on avait utilisé toute la panoplie des vents disponibles. Zeus lui-même était dieu du vent, mais ses multiples casquettes l’avaient forcé à renoncer à faire le temps, activité de toute façon assez rasante.
Les vieilles divinités cananéennes, malgré leurs cheveux bruns gominés, leur nez crochu, leurs yeux globuleux et leur expression déterminée, malgré leur peau basanée et leurs pieds et leurs mains énormes, étaient très timides. Lorsqu’Azzie leur dit combien il était en colère et prêt à leur faire des ennuis, ils acceptèrent de démissionner sans poser de questions.
— Nous pouvons arrêter les vents, dit Baal-Hadad, mais les pluies ne sont pas de notre ressort. Nous n’avons rien à voir avec elles. Ici, on ne fabrique que du vent à 100%.
— Savez-vous qui est chargé de fabriquer la pluie ? demanda Azzie.
Ils haussèrent les épaules en secouant la tête.
— Bon, eh bien, ça attendra. Il faut que je rentre, la cérémonie doit bientôt avoir lieu.