3

Babriel aimait toujours retourner au Paradis. C’était un endroit tellement beau, avec ses alignements de petites maisons blanches posées sur des gazons bien verts, ses vieux arbres élancés, et l’atmosphère de bonté naturelle qui y régnait. Bien sûr, tout le Paradis n’était pas comme ça, mais, là, il se trouvait dans le Septième Ciel, quartier résidentiel à l’ouest de la ville, où vivaient les archanges et où les Incarnations Spirituelles avaient toutes un pied-à-terre. Les Incarnations Spirituelles étaient des femmes grandes et séduisantes, et pour un ange, il y avait bien pire que de se mettre en ménage avec l’une d’elles – car, au Paradis, l’accouplement d’excellents éléments était autorisé. Mais si belles fussent-elles, les Incarnations ne faisaient pas grimper Babriel aux rideaux. Son cœur était pris par Ylith. Il la trouvait irrésistible, peut-être à cause de son expérience de Catin d’Athènes et de Catin assistante de Babylone, à l’époque où elle était au service du Mal. Ylith, quant à elle, semblait parfois aimer Babriel, et parfois non.

Par un raccourci, il se rendit dans les quartiers est, plus populaires, où elle habitait. Il s’arrêta chez elle, juste pour dire bonjour, mais Ylith n’était pas là. Un esprit de la nature rénové, habillé en chérubin, tondait la pelouse, pénitence qu’il s’était imposée à lui-même pour avoir commis des indiscrétions. Il expliqua à Babriel qu’Ylith accompagnait sur Terre un groupe d’angelots en voyage d’études sur les cimetières.

— Ah bon ? Et quelle époque visitent-ils ? demanda l’archange.

— Je crois que ça s’appelle la Renaissance, répondit l’esprit.

Babriel le remercia et repartit, songeur. Était-ce pure coïncidence si Azzie visitait la même époque ? Peu suspicieux de nature, Babriel avait la réputation de faire souvent confiance, même pour un ange. Mais certaines expériences douloureuses lui avaient appris que, dans son genre, il était assez unique, si étrange que cela puisse paraître. Azzie, en particulier, était tout le contraire. Chez lui, la dissimulation était une seconde nature au point qu’elle prenait complètement le pas sur la première, dont il était par ailleurs difficile de savoir ce qu’elle était exactement. Babriel avait aussi quelques doutes quant à l’orthodoxie d’Ylith, et ce malgré l’enthousiasme de l’ex-sorcière pour tout ce qui avait trait à la gentillesse. Sans doute ne renierait-elle pas son serment de fidélité au Paradis, mais elle pouvait être tentée de chercher à contacter son ex-petit ami – à moins que, c’était plus vraisemblable, lui n’essaie de la rencontrer. Si c’était le cas, pourquoi avaient-ils choisi la Renaissance comme lieu de rendez-vous ? Babriel réfléchissait à tout ça en remontant le Chemin des Oliviers. Il arriva devant la grande maison blanche, en haut de la colline, où habitait Michel. L’archange taillait ses rosiers. Il avait remonté les manches de sa longue tunique de lin blanc, découvrant deux avant-bras musclés.

— Te voilà de retour, Babriel ! Alors, bon voyage ? dit-il en posant son sécateur avant d’essuyer sur son front la douce sueur d’un honnête labeur. Ça t’a plu, Venise ?

— Énormément. J’en ai profité pour essayer d’améliorer mes connaissances artistiques. Pour une meilleure glorification du Bien, cela va de soi.

— Cela va de soi, reprit Michel avec un léger clin d’œil amical.

— Et j’ai rencontré Azzie Elbub.

— Ce vieil Azzie ! Vraiment ?

Michel se gratta le menton, pensif. Il se souvenait très bien du démon, qu’il avait croisé pendant l’affaire Johann Faust.

— Que devient-il ?

— Il m’a dit qu’il était juste venu passer quelques jours de vacances, mais je le soupçonne de chercher à approcher l’ange Ylith. Elle est aussi sur la Terre.

— C’est possible, dit Michel. Mais il y a peut-être une autre raison.

— Laquelle ?

— Oh, les possibilités sont multiples, répondit Michel, les yeux dans le vague. Il va falloir que j’y réfléchisse. En attendant, si tu es d’attaque, j’ai une tonne de correspondance à rattraper à l’intérieur.

Michel était assez pointilleux lorsqu’il s’agissait de répondre à ses fans. Il recevait du courrier de partout dans le Royaume Spirituel, et même de la Terre.

— Je m’y mets tout de suite, dit Babriel.

Et, d’un pas vif, il alla jusqu’à son petit bureau, dans ce qu’on avait autrefois appelé Aile des Domestiques, et rebaptisé Aile des Invités Rétribués de Moindre Importance.

On ne rigolait pas avec le politiquement correct, au Paradis.

Le démon de la farce
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