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Kornglow réalisa tout à coup qu’il était allongé dans la paille, pris dans un entrelacs de bras et de jambes dont seule une moitié lui appartenait. À travers les planches disjointes de l’écurie, le soleil brillait, et des odeurs de paille, de crottin et de cheval assaillirent ses narines. Il se dégagea de l’étreinte de celle avec qui il s’était abandonné de la sorte, se rajusta prestement et se leva.
— Pourquoi te presses-tu ? demanda Léonore en ouvrant les yeux. Reste encore un peu.
— Pas le temps, pas le temps, dit Kornglow en fourrant les pans de sa chemise dans ses hauts-de-chausses, et ses pieds dans ses bottes. Je dois partir pour une aventure !
— Oublie l’aventure. Nous nous sommes trouvés, toi et moi, qu’importe le reste ?
— Non, non ! Je ne peux pas rester ! Je dois poursuivre ma route ! Où est mon cheval magique ?
Kornglow fit le tour de l’écurie, mais l’étalon n’y était plus. Tout ce qu’il trouva fut un petit âne pie attaché à un pieu, et qui se mit à braire en le voyant, toutes dents jaunes dehors. Sceptique, Kornglow l’examina de plus près.
— Mon pur-sang serait-il par enchantement devenu un âne ? Ça ne peut être que ça ! Je monterai donc cet animal, et assurément, le moment venu, il retrouvera son aspect original.
Il détacha l’âne, l’enfourcha et, d’un violent coup de talon dans les côtes, le fit partir au petit trot. L’animal n’aimait pas trop cette idée, mais il était d’humeur coopérative. Aussi traversa-t-il tranquillement la cour, passa devant le poulailler, longea le potager et s’arrêta à la porte du manoir.
— Ouh ouh ! Y a quelqu’un ? lança Kornglow.
— Qui est là ? lui répondit une grosse voix masculine.
— Celui qui entend demander la main de dame Cressilda !
Un gros bonhomme en costume de chef cuisinier apparut dans l’embrasure de la porte.
— Vous avez perdu la tête ? demanda-t-il d’un ton rogue et pas aimable pour un sou. Elle est mariée ! Et son époux vient de rentrer !
La porte s’ouvrit un peu plus. Sortit alors un homme de grande taille, bien habillé, l’air sévère, hautain, une rapière au côté.
— Je suis Rodrigue Sforza, annonça-t-il d’un ton qui, qu’on le veuille ou non, laissait mal augurer de la suite. Que se passe-t-il, exactement ?
Le cuisinier s’inclina.
— Maître, ce rustre dit qu’il vient demander la main de dame Cressilda, votre épouse.
Sforza fixa Kornglow d’un regard d’acier.
— Est-ce la vérité, manant ?
Kornglow avait la comprenette un peu lente, mais il sentit que quelque chose ne tournait pas rond. En principe, tout aurait dû aller comme sur des roulettes, et voilà que rien ne se passait comme prévu. Il en déduisit que c’était la perte de son cheval magique qui l’avait fait se fourvoyer à ce point. Mais lorsqu’il fit faire un rapide demi-tour à sa monture et lui ordonna de galoper, celle-ci s’arrêta net et se cabra. Le vol plané fut spectaculaire, l’atterrissage douloureux.
— Gardes ! appela Sforza.
Ses hommes apparurent aussitôt, bouclant leur pourpoint, attachant leur fourreau.
— Enfermez cet homme dans le donjon ! ordonna Sforza.
Et Kornglow se retrouva dans l’obscurité d’un cachot, à compter les chandelles qui tournaient devant ses yeux, les gardes de Sforza y étant allés un peu fort.