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Au-dessus de la porte du château de Krak Herrenium se trouvait un panneau sur lequel était écrit : « TOI QUI FRANCHIS CE SEUIL, RENONCE À LA RAISON. »
De l’intérieur venait de la musique. C’était un air assez vivant et pourtant il avait quelque chose de funèbre. Mais l’Arétin n’avait pas vraiment peur – comment avoir peur quand on se balade en compagnie de son démon ? S’il fait son boulot correctement, le démon est plus effrayant que le monde qui l’entoure.
Un homme arriva par une porte voûtée assez basse, si basse qu’il dut se courber pour la passer. Il était grand et corpulent, portait par-dessus sa veste et son baudrier une cape qui semblait flotter autour de lui, et des bottes à bout pointu. Il était rasé de près, son visage était ouvert, son regard expressif, dans lequel on devinait une extrême finesse d’esprit.
L’homme s’avança et les salua bien bas.
— Je suis Fatus. Et vous, qui êtes-vous ?
— Nous sommes donc dans le château de Fatus, dit l’Arétin d’un ton rêveur. C’est fascinant !
— Je savais que ça vous plairait, dit Azzie. Avec votre réputation d’être un accro de la nouveauté…
— Mon goût pour ce qui est nouveau porte plus sur les hommes que sur les choses, souligna l’écrivain.
Le regard pétillant, Fatus se tourna vers Azzie.
— Bonjour à toi, démon ! Je vois que tu es venu avec un ami.
— Je vous présente Pietro l’Arétin, dit Azzie. C’est un humain.
— Enchanté.
— Nous sommes en quête de quelque chose et je crois que vous devriez pouvoir nous aider, expliqua Azzie.
Fatus sourit et fit un geste. Une petite table et trois chaises apparurent. Sur la table, il y avait du vin et un assortiment de douceurs.
— Que diriez-vous de grignoter un peu pendant que nous discutons de votre affaire ?
Azzie hocha la tête et s’assit.
Ils grignotèrent, discutèrent, et au bout d’un moment, Fatus, d’un geste, commanda un peu de distraction. Une troupe de jongleurs entra. Il s’agissait d’hommes appelés manipulateurs juridiques, qui jonglaient avec des délits et des représailles, se les lançaient, les rattrapaient au vol, une jambe en l’air, un bras dans le dos, avec une dextérité qui époustoufla Azzie.
Fatus souriait.
— Voilà comment on perd ses illusions… Mais que puis-je faire pour toi, exactement ?
— J’ai entendu dire, expliqua Azzie, que vous avez en dépôt dans votre château un assez grand nombre de vieilleries et de curiosités.
— C’est exact. Les choses finissent toujours par débouler chez moi, et je leur trouve une place, quelles qu’elles soient. En général, c’est rebut, rebut, rebut, même un brocanteur n’en voudrait pas, mais il arrive parfois que ce soit un original. Parfois ces trésors sont vraiment le fruit d’une prophétie, et d’autres fois leur histoire n’est qu’un ramassis de balivernes. Je m’en fiche, je ne fais pas de différence entre le réel et l’irréel, le tangible et l’intangible, l’apparent et le dissimulé. Quel trésor cherches-tu ?
— Sept chandeliers d’or, répondit Azzie. Que Satan a donnés à Adam.
— Je vois. J’ai quelques photos que tu pourrais regarder.
— Je veux les chandeliers, pas leurs photos.
— Et qu’as-tu l’intention d’en faire ?
— Mon cher Fatus, je me suis lancé dans une grande entreprise, et ces chandeliers jouent un rôle clé dans mon projet. Mais peut-être en avez-vous besoin, vous.
— Non, pas du tout. Je serai ravi de te les prêter.
— Mon idée, c’est de les confier à des humains pour qu’ils puissent réaliser leur rêve le plus cher.
— Elle est diablement bonne, cette idée. Le monde a bien besoin d’idées de cette trempe en ce moment. Et comment comptes-tu t’y prendre ?
— À l’aide de charmes.
— Des charmes ! Mais quelle idée géniale ! Avec les charmes, on arrive à ses fins presque chaque fois !
— Tout à fait, acquiesça Azzie. C’est bien pour ça qu’ils sont pratiques. Bien, si vous permettez, l’Arétin et moi aimerions récupérer les chandeliers et retourner sur Terre. On a encore les charmes à réunir.