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Se perdre dans le palais, en soi, n’était pas effrayant outre mesure. Je n’ai donc pas paniqué. Je confesse avoir ressenti une certaine frustration quand même.

À priori, ma situation pouvait s’améliorer à l’aide d’un peu de bon sens, non ? En tout cas, j’en étais convaincu.

Éviter de m’engager dans un couloir plus poussiéreux : une règle judicieuse. Tout comme éviter systématiquement les raccourcis apparents. Ils ne menaient jamais où je voulais aller. Et le plus important enfin : ne céder ni à l’émotion ni à l’énervement.

Le palais est le seul endroit du monde où franchir une porte peut vous faire changer d’étage. Je l’ai appris à mes dépens. Et sans aucun recours à une magie elfique. Cela s’expliquait par la nature du bâtiment : un agglomérat d’extensions datant d’époques très diverses et bâties sur un terrain accidenté.

Mon anxiété a atteint un degré qui m’a décidé à opter pour ce qui m’a paru le chemin le moins téméraire. J’ai décidé de descendre au niveau du sol, de trouver l’une des mille poternes du palais qui ne s’ouvrent que de l’intérieur et de sortir dans la rue. Une fois dehors, je me reconnaîtrais. Je longerais le bâtiment jusqu’à ce que je retrouve l’entrée que j’avais coutume d’emprunter. Alors je serais chez moi.

Il faisait vraiment sombre là-dedans, en pleine nuit. J’en ai pris pleinement conscience après avoir trébuché en descendant un escalier et lâché ma lampe pour rétablir mon équilibre.

Comme de juste, elle s’est brisée. Pendant un moment, il y a eu beaucoup de lumière en contrebas. Et puis le feu s’est éteint.

Bien, bon. Il y avait forcément une porte donnant sur la rue plus bas. La cage d’escalier s’enroulait le long d’un mur extérieur. Je m’étais penché dehors depuis une fenêtre pour m’en assurer avant de m’y engager.

Descendre un vieil escalier en spirale n’est pas chose facile quand il est dépourvu de main courante et qu’on n’y voit goutte. Je suis pourtant arrivé en bas sans me rompre les os, même si j’ai glissé à deux reprises et enduré un long sortilège de vertige après avoir passé la nappe de fumée produite par la combustion de l’huile de ma lampe.

Enfin, l’escalier se terminait. J’ai tâtonné à la recherche d’une porte. Ce faisant, j’ai froncé les sourcils. Qu’étais-je en train de faire ? Il m’a fallu un moment pour extirper une réponse des fins fonds de mon cerveau.

J’ai trouvé une porte, cherché le mécanisme d’ouverture. J’ai trouvé un loquet à l’ancienne mode, avec une clenche de bois. Ce n’était pas du tout ce que j’attendais.

J’ai actionné le loquet, poussé le battant. La porte s’est ouverte vers l’extérieur.

Mauvaise réponse à ton problème, Murgen.

 

En cette forteresse, rien ne bouge, même si parfois des brumes lumineuses et scintillantes s’infiltrent par les portes du rêve. Des ombres guettent dans les recoins.

Et, loin en profondeur, au centre de la place forte, trahie par le battement ténu d’un cœur de ténèbres, se trouve une forme de vie.

Un trône de bois massif se dresse au milieu d’une salle si vaste que seul un soleil pourrait l’éclairer complètement. Sur ce trône est affalé un corps, noyé dans les ténèbres, immobilisé par des clous d’argent fichés dans ses mains et ses pieds. Parfois ce corps soupire doucement dans son sommeil, troublé par les rêves cruels qui s’instillent derrière ses yeux aveugles.

La créature survit, d’une certaine manière.

La nuit, quand le vent cesse de s’engouffrer par les fenêtres sans vitres, de siffler dans les couloirs vides, de murmurer aux milliers d’ombres rampantes, la forteresse s’emplit du silence de la pierre.