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Toubib n’est jamais revenu à la salle secrète. Ni Qu’un-Œil, ni même la Radisha, pour tourmenter notre prisonnier. Nul ne m’a réveillé.

Je suis revenu presque sans le vouloir, peut-être rappelé par mon corps. Je m’étais absenté longtemps. Plus longtemps que le temps subjectif que j’avais passé dans l’autre dimension. La phase introspective avait probablement duré bien au-delà des apparences.

Mon estomac gargouillait. Mais il ne me restait plus un seul caillou cuit de mère Gota.

L’Étrangleur s’était à nouveau débarrassé de son drap. Il me guignait en écarquillant les yeux. J’ai eu l’impression qu’il était sur le point de faire quelque chose que j’aurais réprouvé.

Je me suis aperçu qu’il s’était libéré une main. « Vilain garnement. » J’ai avalé une longue gorgée au broc et je l’ai regardé à nouveau. Ensuite, je me suis demandé s’il fallait que je me risque dans le labyrinthe une fois de plus, pour aller chercher un peu de l’indigeste boustifaille de mère Gota, ou si je devais rester et me payer une autre promenade quelque part à travers les yeux de Fumée pour tromper l’attente.

« De l’eau.

— Désolé, Toto. Je ne suis pas d’accord. À moins peut-être que tu me dises ce que manigancent tes copains. » Mon estomac a gargouillé de nouveau.

L’Étrangleur n’a pas répondu. Même dans son état de faiblesse, sa volonté restait ferme. C’était à croire que, ignorant ma présence, quelqu’un était venu le nourrir.

Il se faisait tard. Peut-être que mère Gota dormait et que Sarie mitonnait mon repas. Elle, au moins, ne cuisinait pas comme pour assouvir une vengeance.

Je m’éternisais sur le seuil, indécis. Y avait-il un moyen de marquer mon passage ? Une façon de suivre les pas dans la poussière ? Mais il n’y avait pas de lumière. Cette partie du palais servait rarement. Personne ne la pourvoyait en torches ou en chandelles. La lampe dans la salle derrière moi serait la seule source de lumière. À moins que j’attende le jour et les premiers rayons de soleil qui perceraient ici et là par les fissures des murs et les petites fenêtres.

Je me suis tourné vers la lampe. Elle éclairait depuis longtemps. Personne ne l’avait réalimentée. Il fallait que je m’en occupe avant toute chose.

Un bruit métallique a résonné loin, très loin, par-delà une centaine de couloirs, de coudes et de tournants. Ça m’a flanqué la chair de poule, malgré la chaleur moite ambiante de Taglios.

« De l’eau.

— La ferme. » J’ai trouvé un flacon d’huile. J’ai entrepris de le transvaser, tête penchée. Le bruit métallique ne s’est pas répété.

Je n’avais pas recouvert l’Étrangleur. Quand j’ai levé le nez vers lui, j’ai découvert sa tête macabre fendue d’un sourire. C’était le rictus de la mort.

Renversant mon huile, je me suis précipité dehors.

Je me suis reperdu. En un rien de temps.